mardi 7 mai 2024

Quand la vérité foudroie.


A Summersdown vit un artiste autoproclamé dont les œuvres, des sculptures essentiellement, ne laissent personne indifférent que ce soit pour les louer ou les critiquer. Conrad Swann - c'est son nom - est un bohème qui vit dans une maison délabrée avec sa nouvelle compagne, l'épouse de son meilleur ami, et tous leurs enfants, plutôt livrés à eux-mêmes. Tout ce petit monde fait jaser et au moins il se passe quelque chose dans cette petite ville où chacun se connaît.

Et puis un jour, après un orage effroyable, Swann disparaît, laissant seuls Elizabeth - véritable carpette noyée dans l'alcool- et les enfants. Heureusement, l'aînée des six petits, Seraphina, est une dégourdie et en attendant qu'un adulte daigne venir les chercher, elle va s'employer à protéger et nourrir la petite troupe.

Malgré son absence, le sculpteur fait encore polémique. En effet, il a laissé derrière lui une œuvre étrange, destinée à un concours : l'Apollon. Son agent autoproclamée, Martha, aimerait bien que ce qu'elle considère comme un chef d'œuvre soit achetée par la municipalité, mais pour cela il faut que le comité municipal vote pour, et ce n'est pas gagné car les membres ont des avis contraires. Parmi eux, le mélancolique Dickie Pattison, souvent admiratif des œuvres de Swann mais qui là, avoue ne pas être subjugué par l'Apollon. De plus, ce dernier vit une mauvaise passe, entre le déclin de son père adoré et son amour pour son épouse Christina qui se réduit en peau de chagrin.

Les Oracles, c'est la prise de conscience de " la vérité au milieu des ruines". Tandis que les uns et les autres se démènent pour soit retrouver Swann, soit vendre sa sculpture, tout le monde semble avoir oublié la progéniture qui, au bout de quelques jours, commence à avoir faim, surtout depuis qu'Elizabeth a pris elle aussi la fuite. Heureusement, Seraphina trouve de l'aide.

"Atterrée, ne sachant plus vers quelle ressource se tourner, elle s'éloigna de la maison, erra un moment dans le pré. Puis elle se coucha dans les herbes hautes, non loin des vestiges foudroyés de leur arbre. Elle s'était crue au bord des larmes, mais rien ne venait. Elle aurait aimé n'être plus rien. Pas même mourir, non : n'être plus rien du tout. La vie éternelle était le moins enviable des sorts".

Dans cette comédie grinçante, les pus responsables sont les enfants car les adultes sont embourbés dans leur petite vie bourgeoise et l'image qu'ils renvoient. Après Le Festin (La Table Ronde, 2022) où Margaret Kennedy démontrait qu'il ne faut pas aller chercher loin pour se retrouver en Enfer, et après Divorce à l'anglaise (La Table Ronde, 2023) qui décortiquait le sentiment amoureux à l'épreuve du mariage, cette fois-ci l'auteure brise le vernis des apparences des gens bien-pensants. Le point de départ est original, un très gros orage dont les éclairs interpellent tout le monde, et les conséquences sont fâcheuses à tous les plans. 

Encore une fois, ce roman pourtant paru pour la première fois en 1955, semble étrangement contemporain. A aucun moment on ne ressent les soixante dix années passées tant les questions sociétales demeurent d'actualité. Des trois romans lus de Margaret Kennedy, Les Oracles a ma préférence.


Ed. La Table Ronde, collection Quai Voltaire, avril 2024, traduit de l'anglais (GB) par Anne-Sylvie Homassel, 368 pages, 24€

Titre Eponyme