vendredi 19 avril 2024

A rebours...


Au premier abord les six nouvelles de ce recueil sont distinctes, et puis au fil de la lecture émergent quelques points communs faisant de ces récits un tout : des personnages récurrent dont les liens sont modifiés en fonction de l'histoire, un récit centré sur la thématique temporelle et last but not least, un fil d'ariane incarné par un drôle de personnage affublé de nanisme et qui semble tirer les ficelles de la compréhension.

Croire en la linéarité du temps affaiblit les potentialités et enlève de la fantaisie au monde. C'est pourquoi, qu'elle soit montre ou petite machine, toutes sont passées à un moment ou à un autre entre les mains de Owen Andrews ingénieur renégat, inventeur  d'horloges alchimiques ou plus vulgairement de "machines transtemporelles". Il apparaît dans chaque nouvelle, soit dans le décor ou soit en personnage en présence. Martin, Dora, Stephen ou encore Miranda l'ont croisé ou ont échangé avec lui, et cette rencontre leur laisse une marque indélébile dans le sens où, à partir de ce moment, leur conception du temps a changé.
"J'avais découvert ce que je voulais faire : devenir un connaisseur du temps".
Les sensations de déjà-vu sont prégnantes, le concept de conscience résiduelle devient une vérité qu'on ne met plus en doute. Il est un signe de voyage à travers le temps.
"Le temps est plus étrange que tu ne le crois. La plupart des gens conçoivent le temps comme une ligne droite, une route qui va dans une seule direction. Mais j'ai toujours trouvé que le temps est plutôt comme un jardin, ou un labyrinthe, un endroit où il est possible de tourner en rond sans jamais en sortir".
Ainsi chaque personnage est à la fois ici est ailleurs, avec une autre histoire mais aussi avec des vérités qui ne changent pas. La montre devient un objet qui peut ouvrir des portes vers d'autres vies possibles, laissant au retour une trace dite de contamination.

Nina Allan transporte le lecteur d'une histoire à une autre, se jouant des personnages et des temporalités, des certitudes et des hypothèses. Toutes les histoires sont reliées par Andrew(s) génial créateur ou fou démiurge, témoin de ceux à qui il fait tourner la tête.

"Quand Henry me donna la Longines, tout changea. C'était comme si une lumière s'était allumée en moi. Tout dans le monde sembla gagner en netteté et devenir une fonction de cette nouvelle passion, et je commençai enfin à trouver un sens à ma vie".
En arrière plan, on y voit et comprend un concept de l'écriture. La vérité se sert de la fiction et vice et versa. Tout est affaire de construction, d'imbrications des éléments dont les engrenages se grippent parfois à cause de complications, pour le plus grand plaisir du lecteur.

"L'écrivain a pour tâche de construire quelque chose avec [la réalité], une belle machine, une histoire qui soit la somme des faits tout en les dépassant. Quand la machine commence à marcher toute seule, alors c'est le moment où on sait qu'on a réussi à dire la vérité".

Ed. Tristram, janvier 2015, traduit de l'anglais (GB) par Bernard Sigaud, 224 pages, 8.95€