Qu'est-ce qui nous unis au-delà de nos divergences, de nos nationalités, de nos croyances ? Nous habitons tous sur la même planète, qui, vu de la station spatiale internationale, donne un sentiment d'éternité.
Samantha Harvey raconte les états d'âme des spationautes confinés dans la station qui tourne autour de la planète bleue. Pas facile de se repérer dans le temps quand une journée terrienne correspond à seize levers de soleil.
"L'orbite file vers le nord. Ils approchent de l'Amérique centrale quand la zone crépusculaire qu'est le terminateur fonce en dessous d'eux en entraînant le matin à sa suite. Quand le soleil se lève pour la septième fois aujourd'hui, prompt et entier, la lumière les atteint avant d'atteindre la Terre, et le vaisseau est un projectile en feu".
Chacun a ses petites lubies, sa routine mais tous ne se lassent pas de prendre en photo la Terre et le typhon qui avance inexorablement sur les îles asiatiques. Cette sphère bleue semble suspendue dans l'univers et tourne inexorablement...
"Ils sont six dans un grand H de métal suspendu au-dessus de la Terre. Ils tournent sur eux-mêmes, quatre astronautes (américains, japonais, anglais, italiens) et deux cosmonautes (russe, russe)".
Ces hommes et ces femmes qui ont consacré leur vie à se rendre un jour dans l'espace sont les témoins impuissants du dérèglement climatique en marche et des profonds changements qui en découlent. La calotte polaire fond, les méga feux, les typhons se forment. Et pourtant notre planète reste belle, d'une beauté à couper le souffle au point d'en oublier qu'on a laissé une mère mourante sur place, que les hommes se battent encore et encore, que notre famille nous attend.
La Terre est le véritable personnage principal de ce roman. Nous avons de magnifiques descriptions imprégnées de l'aura bleutée des océans. Vu du ciel, pas de frontières mais des continents magnifiques et de l'eau encore et encore.
"Leur imposante génitrice sans cesse présente derrière le dôme de verre".
Dans la station, selon qu'on est russe, américain, asiatique, européen, on a chacun son coin intime mais à force l'espace réservé devient un espace ouvert. On se retrouve autour d'un semblant de repas, on mène des expériences scientifiques, on dort tant bien que mal et on rêve de la Terre encore et toujours et de ceux qu'on a laissé en bas. Pourtant, à aucun moment, on ne regrette d'être parti, "une dépendance la drogue spatiale, le mal des hauteurs". Il le fallait, c'est une évidence, pour avoir le sentiment d'une vie accomplie. Voir le monde depuis l'espace ça n'a pas de prix. La solitude est de mise mais elle devient un moment salutaire.
"En orbite autour de la Terre dans leur vaisseau spatial, ils sont si proches et si seuls que même leurs pensées, leurs mythologies intimes parfois se rejoignent".
Peu de dialogues, des phrases fulgurantes qui mettent le lecteur dans un état contemplatif. La traduction de Claro met du relief à cette volonté de montrer que notre Terre est un trésor fragile. Les personnages s'effacent au profit de la nature. Nous ne sommes que de passage alors que la Terre est là depuis plus longtemps que nous. C'est notre mère à tous, petits humains.
"Ils regardent en bas et comprennent pourquoi on l'appelle la Terre mère. Ils ressentent tout ça de temps en temps. Ils font tous un lien entre la Terre et une mère, et ce faisant ont l'impression d'être des enfants".
Cette "famille flottante" prend la mesure de l'importance d'être là où elle est. En bas, les autres sont si loin que même si on leur parle sur une radio satellite, on est coupés à un moment ou à un autre. De plus, ces temps ci, plus personne ne pense véritablement à ces ouvriers de l'espace, tous occupés à suivre les collègues qui voyagent de nouveau vers la Lune. Leur métier leur apprend aussi l'humilité.
"En attendant, que faire dans nos vies à l'abandon sinon nous observer nous-mêmes"?
Les souvenirs, les non-dits, les conflits n'ont plus la même importance à présent. Nos spationautes "documentent leur propre personne", bilantent leurs faits et gestes, véritables cobayes pour l'avancée de la science. "Ils sont des données. Avant tout, ça. Un moyen et non une fin". Alors, chacun trouve un truc pour se rassurer : on fait des listes, on se souvient, on contemple un tableau de Velasquez, tandis que sur Terre, la nature reprend ses droits.
"Ils virent l'océan envahir une ville. L'aéroport s'effondre, les avions chavirent. Les ponts cèdent (...) Les continents et les pays se succèdent les uns après les autres, et la Terre semble - pas petite, mais presque infiniment connectée - un poème épique aux vers ruisselants".
Ce roman magnifique nous dit finalement et simplement que "Tout, absolument tout tourne et passe". Des cœurs battent dans l'espace et contemplent la beauté de notre sphère terrestre, avec "une impression de déjà-vu comme si ils savaient qu'ils avaient déjà été là".
Orbital raconte une "harmonie confuse" qui prend forme inexorablement et dont il faut prendre soin pour éviter qu'elle explose entre nos mains destructrices.
Magistral.
Ed. Flammarion, mars 2024, traduit de l'anglais (GB) par Claro, 224 pages, 22€
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