mardi 24 septembre 2024

MEURTRE A QUATRE VOIX

 


Dans une bourgade paisible américaine où tout le monde se connaît, une jeune fille est retrouvée morte au bord de la rivière. Léo- c'est son nom - est née et a grandi à Mercy. C'est la fille du garagiste devenu homme à tout faire depuis la crise des subprimes. Cette gamine, d'un naturel tranquille et réservé, avait la chevelure aussi noire que sa mère italienne, partie un beau matin en laissant sa famille en plan.

"Elle est exactement ce qu'elle paraît être : la fille qui glisse le long des murs, calme, discrète. La fille qui s'efface, la fille qu'on oublie"

Seulement, très vite, ce meurtre devient une excuse dans la construction narrative. Marie Vingtras va s'intéresser à quatre personnages qui gravitaient autour de Léo. Quatre voix pour quatre saisons avec en arrière plan le climat qui colle au tempérament. L'hiver sera la dernière saison, aussi froide que la révélation. C'est judicieux et assez habile pour faire attendre le lecteur : mais qui a bien pu en vouloir à Léo pour la tuer ? Et au centre, le shérif ou plutôt La shérif Lauren Hobler, obligée chaque jour de montrer que son électionà cette fonction est méritée et non pas vaine...

Mercy cache bien des secrets. "Cette bonne ville de Mercy, trois mille neuf cent soixante-quatorze âmes hier, trois mille neuf cent soixante-treize aujourd'hui. Une ville calme, endormie, avec ses deux clubs de bingo, son association de vétérans et sa shérif qui préfère les femmes".

Derrière les rideaux fermés des paisibles maisons avec pelouses bien tondues, à la banque ou encore au lycée, il s'en passe des choses. Mercy paraît tellement paisible et propre que le corps de Leo en devient surnaturel.
"Autant que je m'en souvienne, c'était le premier meurtre de cette ville depuis un paquet d'années".

Seulement, Lauren comprend bien que derrière ce calme, se cache une tempête bien plus troublante qui sera sans aucun doute le mobile du meurtre.

"Au sud, tout n'était que champs et forêts. (...) On aurait pu croire qu'il n'y avait aucun être humain à des miles à la ronde. C'était sans doute ce que les gens recherchaient ici, vivre à l'abri des regards, mais je n'étais plus tout à fait sûre que ce soit sain".
Alors, en quatre parties polyphoniques, Marie Vingtras donne la voix à quatre âmes féroces, écorchées à leur façon : la shérif en charge de l'enquête, le professeur de littérature du lycée, exilé "obligé" de New-York, la meilleure amie (ou ex-meilleure amie ?) de Léo, et enfin son père. Au détour de la page, les secrets se révèlent, les hontes, les projets, si bien que toutes ces révélations ternissent aussi bien l'image de Mercy qu'elles établissent une liste de suspects potentiels. Le paradis n'existe pas, en tout cas il n'est pas à cet endroit.
"C'est pas vraiment comme ça que ça se passe et s'ils voulaient bien se donner la peine de regarder autour d'eux, ils verraient que le malheur est comme l'eau qui s'infiltre dans ma charpente, il vient se glisser dans tous les espaces libres et quand la pression est trop forte, tout finit par céder."
Dans son premier roman Blizzard (L'Olivier, 2021), Marie Vingtras écrivait déjà "à l'américaine" et décrivait les tempêtes sous les crânes. Les âmes féroces est une récidive réussie autant que par sa construction minutieuse que pour son dénouement.
"Donnez leur une étincelle de pouvoir et ils en feront un brasier",

dit Chapman, le professeur de littérature. Il a percé la véritable mentalité du lieu.


Ed. de L'Olivier, août 2024, 272 pages,21.50€