DERIVE

Vous auriez pu être Claire Devon, moi aussi d'ailleurs. La narratrice de ce roman tente de raconter le plus objectivement possible comment elle a pu sombrer, au point de rejoindre un groupe sectaire, à force de vouloir trouver une solution mais aussi des réponses au mal qui l'a soudainement envahi.

Le Bourdonnement - c'est ainsi qu'elle l'appelle - est apparu une nuit pour ne plus jamais la quitter. Ni acouphènes, ni bruit perçu par le plus grand nombre, il envahit ses jours et ses nuits, l'usant à petits feux. 

"Il n'y avait pas de voix humaine suffisamment grave pour reproduire le bourdonnement. C'était un son impossible".

D'abord rassurants, son époux et sa fille commencent à douter de l'état mental de Claire. Le Bourdonnement est devenu une obsession au point de transgresser les règles de son milieu professionnel. Professeur connue et reconnue, elle trouve en Kyle, un de ses élèves, un compagnon d'infortune depuis qu'il lui a avoué entendre la même chose qu'elle.

"Nous étions tous les deux harcelés par ce bruit qui nous déchirait et nous dévorait".

Dès lors, Claire s'éloigne peu à peu des siens pour trouver une réponse à ce qui la harcèle. Elle perd son travail, ses amies la fuit et Kyle devient la seule personne de confiance vers qui elle peut se tourner, même si elle  se heurte violemment à la mère de ce dernier. Il y a bien une source qui provoque ce bruit continu !

"Nous étions un cercle d'esprits brisés, animés par le faible espoir de nous trouver peut-être enfin au bord de quelque catharsis partagée".

Claire et Kyle rejoignent un groupe dirigé par un ancien universitaire, dont les membres entendent comme elle, parfois depuis des années, le Bourdonnement. Ils insistent pour qu'elle accepte sa situation comme un miracle qu'elle doit chouchouter. Cet infrason est un atout qui leur permet d'atteindre une autre dimension collective. Ainsi, le groupe se considère comme  des privilégiés au détriment de leurs proches...

"Entendez vous le Bourdonnement"?

A partir de cette simple question Jordan Tannahill, plus connu pour son œuvre théâtrale, signe un roman décrivant la chute rapide et inéluctable d'une femme bien sous tous rapports. En arrière-plan c'est aussi tout le microcosme complotiste et politique qui est pointé du doigt. 

Dans ce contexte, le dernier tiers du récit est paroxystique et livre une explication portée par les autorités qui ne satisfait aucun des partis, personnages ou lecteurs.

"Parfois les gens ont besoin d'un mythe autour duquel se rassembler, surtout après un traumatisme collectif. Nous étions un quartier - et une ville - qui avait besoin de tourner la page".

Infrason est vraiment prégnant dans sa façon de raconter une spirale infernale, comment un son peut mettre à bout une personne tout à fait intégrée et sceptique et la transformer en femme à la dérive qui ne sait plus vers qui se tourner.

C'est l'histoire de Claire Devon mais aussi de sa famille, dommage collatéral de cette histoire. Jordan Tannahill raconte les conséquences, met en scène les chagrins, les colères et l'incompréhension de ceux qui n'entendent pas. On sombre parfois dans le pathos? ceci dû sûrement au parcours théâtral de l'auteur.

Infrason aurait pu être un roman "soft" de Stephen King par le contexte et l'emprise qu'il impose au fil des pages.

Bonne lecture !

Ed. Seuil, avril 2024, traduit de l'anglais (Canada) par Fabrice Pointeau, 368 pages, 22.50€

Titre original : The Listeners