lundi 27 septembre 2021

Tempête sous les crânes


Rentrée littéraire 2021

Ce premier roman de Marie Vingtras fait grand bruit en cette rentrée littéraire. L'autrice dit en entretien qu'elle doit beaucoup à la littérature américaine. Raison pour laquelle peut-être elle situe son roman dans un Alaska hostile en pleine tempête de neige.


Il a suffi que Bess veuille renouer ses lacets et lâche de ce fait la main de Thomas pour que celui-ci disparaisse en plein Blizzard. Mais pourquoi sortir alors qu'on n'y voit goutte, que le vent hurle et que la neige rend tout uniforme ?

"L'air est incolore, comme si toutes les couleurs existantes avaient disparu, comme si le monde entier s'était dilué dans un verre d'eau".

Blizzard aurait pu être un énième roman sur la disparition et tout ce qu'elle implique.  Sauf que Blizzard est autre chose ; c'est un roman choral construit comme un monologue permanent. La disparition du gamin est un déclic. Dans ce coin hostile de l'Alaska où tout le monde se connaît, les taiseux se mettent à parler, à se confier, à affronter enfin ce qu'ils ont fui pendant des années.

"Je l'ai ramené ici et je l'ai laissé se perdre. Je n'ai pas su veiller sur lui. Je n'ai pas réussi à lui apprendre ce que mon père m'avait appris".

Benedict, le tuteur du petit est en proie à la culpabilité. Il n'a pas su. Pourtant, son frère disparu Thomas lui avait reproché jadis de vivre dans sa propre prison car il n'avait pas envie de voir du pays. Il a fallu que son frère disparaisse pour que Benedict prenne la route, rencontre des gens, puis des années après, ramène le petit Thomas en Alaska, avec Bess dans ses bagages.

"La vie n'est qu'un mouvement perpétuel, petit ou grand, un mouvement constant vers l'autre, d'autres lieux, d'autres gens, d'autres histoires".

Bess a connu l'errance pendant des années. La culpabilité est un moteur sans frein... 

"J'étais bien décidé d'effacer toute trace d'Elizabeth Morgenstern, celle qui n'avait pas sauvé sa sœur, et je suis devenue Bess, juste Bess. C'est encore trop, je crois".

D'état en état, de petits boulots en petits boulots, Bess s'est forgée une carapace. Sa rencontre avec Benedict et son étrange proposition lui a permis de rencontrer un lieu sauvage, comme elle, peu propice aux femmes et aux enfants d'après Benedict.

"Ce pays perdu où vous oubliez jusqu'à ce que vous étiez avant. Ce pays d'hommes aussi, si rude que peu de femmes ont envie d'y survivre".

 Dans cette "Terre de désolation et de malheur", quatre personnes se mettent à la recherche de la femme et de l'enfant. Parmi eux, un shérif à la retraite, porteur d'un trop lourd secret, puis Freeman, un vieil ami de la famille de Benedict et enfin Cole son copain de chasse un peu étrange. Les deux derniers n'ont jamais accepté l'arrivée de Bess et n'ont jamais rien fait pour qu'elle s'acclimate. D'ailleurs s'ils la retrouvent malgré le blizzard, il lui donneront une bonne leçon....

"Leur présence ici était un non-sens. (...) Je ne sais pas si la nature les a absorbés ou si elle va les recracher, morts ou vivants".

Se dit Benedict. Il a préféré se taire, entretenir l'illusion que la présence du petit Thomas et de Bess à ses côtés était quelque chose de possible et de normal. La tempête lui a rappelé que finalement l'Alaska n'est que "le ventre du Diable" comme se plaît à lui répéter Freeman. La nature ne ment pas ; elle vous oblige à affronter en  face vos propres contradictions.


Blizzard est un premier roman choral efficace, aux chapitres courts, monologues de personnages tous impactés de près ou de loin par les personnages de Bess ou du gamin. Leur point commun est d'être abîmés par la vie ou par ce qu'ils sont. Se croyant protégés des autres par la neige et le vent, ils vont enfin extérioriser et révéler leur véritable nature. Benedict est un personnage fort, attachant, le pilier de cette histoire qui s'inscrit dans un paysage littéraire très américain.

Marie Vingtras prend son temps. Son écriture suggère puis pose les choses. Mais lorsqu'elle les révèle enfin, c'est la stupeur puis le déchainement. Et c'est ce que j'attends quand je lis un roman. Merci.


Ed. de L'Olivier, août 2021, 192 pages, 17€