vendredi 5 mai 2023

Là où vont les cerfs, les hommes iront aussi.


 Cette fois, on y est, les Etats-Unis ont basculé et le pays est devenu fasciste, laissant une totale liberté aux milices et autres fous armés pour faire régner l'ordre dans la rue. Pour être tranquille, il faut porter un bandana rouge. 
A la tête de cette horreur, le président américain en place, Elder Reese, homme sans foi ni loi, né avec une cuillère d'argent dans la bouche, originaire du comté de Mercy Oaks où il y a plus de vingt ans, il briguait le poste de gouverneur. Qui aurait cru que ce blond, menteur, violeur et héritier d'une famille puissante n'aurait eu personne pour l'arrêter ?

Peut-être C.T. Bone aurait pu. Taxidermiste de profession, associé dans ses combines mais cherchant désespérément un moyen de le coincer, il a décidé de cacher un nouveau-né qu'il a réussi à sauver alors que sa mère se mourrait. Cet enfant devait être un objet de chantage contre celui qui se présentait contre Reese au poste de gouverneur...
"Autrefois je pensais que chaque vie était comme un roman, dit-il. Qu'elle avait une intrigue et qu'on la comprenait à la fin. Mais maintenant la fin est là et...et...je n'en suis plus si sûr".
C'est ce que confie Toxey à sa fille Cynthia qui vient le voir quotidiennement à la maison de retraite. Ce dernier est en train de perdre la tête mais lorsqu'il a des phases lucides, il tient à raconter ce qui lui est arrivé à Mercy Oaks où il vivait avec ses parents et ses sœurs. 
"Le temps des histoires était passé et était venu pour lui le temps de la confession".
Dans le quartier des Quaters, un ancien camps de bûcherons devenu un ensemble de taudis à louer depuis la fermeture de la scierie locale, Toxey est connu pour être le photographe. Il aime prendre des clichés des gens et de la ville. Ils arrivent même à les vendre à l'épicerie locale où il travaille. Un jour, Frida, une vétérinaire, vient le sauver du lynchage. Il est noir, solitaire, c'est "une proie" facile pour les jeunes délinquants désœuvrés.
Entre Frida et Toxey se  noue une amitié remplie de respect. Il l'assiste lors de ses excursions le long de la rivière Lokutta en prenant des photos pour son futur livre. A cet endroit, on y a retrouvé il y a peu le corps sans vie d'une jeune femme et personne ne connaît son identité. On sait par contre qu'elle était enceinte à cause de la cicatrice récente de césarienne.
Au fil de leurs escapades, ils vont comprendre qu'il y a deux sortes de monstres à Mercy : Elder Reese, le propriétaire d'une grande partie de la Lokutta et Bone qui cache avec sa mère un secret bien encombrant. A force d'indices, ils se retrouvent au cœur d'une affaire trop dangereuse pour eux...
"L'important dans la vie, c'est de parvenir à réaliser nos petites ambitions. Que tout ce qu'on a ce sont nos petites ambitions".
Disait Frida à Toxey. Il lui doit tout, notamment la vie qu'il a construite. Sa fille Cynthia ne l'a jamais connue et se demande si le récit de son père n'est pas une invention de son cerveau malade et nostalgique. Seulement, au fil des épisodes, tout se recoupe et une étrange vérité apparaît. La vie est mensonge selon Toxey car elle est bâtie en grande partie sur des secrets. Alors, pour savoir qui nous sommes vraiment, pour connaître notre rôle dans la vie, il faut faire accepter la vérité.

Dans son premier roman, Les Mangeurs d'argile (Gallmeister, 2019) Peter Farris pointait déjà du doigt la corruption sur l'environnement. La somme de choix, d'errements et de présages ont des conséquences décuplées dans un monde vacillant. Le choix d'une chronologie en flash-back accentue les effets de la construction narrative. Chacun des personnages, de par ses décisions et ses actes, a eu un impact sur ce qui est décrit dans la génération suivante.

Peter Farris décrit une Amérique qui fait écho à celle du quarante-cinquième président américain. La fiction et la réalité se mélangent faisant de la liberté et de l'insouciance des souvenirs chéris. La littérature devient un moyen de prévenir ce qui nous pend au nez si on ne régit pas.
Un grand roman.


Ed. Gallmeister, mars 2023, traduit de l'anglais (USA) par Anatole Pons-Reumaux, 496 pages, 24.90€
Titre original : The bone omen