Le mal se cache partout y compris chez ceux qu'on soupçonnerait le moins. En cela, le dernier roman de Stephen King m'a rappelé un roman de Pascal Brukner, Prix Renaudot 1997, Les voleurs de Beauté (Le Livre de Poche) dans lequel il était déjà question de corps et de vieillesse.
Dans une petite ville du Mid West qui peut se targuer d'avoir un parc presque aussi grand que Central Park, des jeunes gens sans points communs apparents disparaissent. Holly, désormais l'enquêtrice principale de Finder Keepers depuis la disparition de son mentor Bill Hodges, est engagée par la mère de la dernière disparue, Bonnie Dahl.
L'intrigue pourrait être ronronnante voire pénible puisque très vite on comprend qui sont ceux qui sévissent dans le quartier de Red Bank. Ils sont deux et hors de tout soupçon : un couple d'universitaires à la retraite, connu et reconnu même si une fois la porte de leur maison du 93 Ridge Road se referme, Emily et Roddy Harris vomissent leur haine du monde.
Holly est avant tout un roman très politique. Stephen King place son histoire essentiellement en 2021, en pleine tourmente Covid, avec les sceptiques complotistes d'un côté et ceux touchés de près ou de loin par la maladie de l'autre. Justement Holly vient de perdre sa mère, emportée par le Covid. Elle suit scrupuleusement les gestes barrières et évacue son stress permanent par un usage compulsif de la cigarette. A travers ses rencontres pour le besoin de l'enquête, c'est toute la société américaine et la présidence de Trump qui sont passées à la moulinette narrative de l'auteur. En cela, l'arrière-plan du roman est très intéressant.
Mais revenons à l'histoire elle-même. Lectrice depuis longtemps de Stephen King, j'ai parfois étais déçue voire même très déçue. Holly fait partie de ma short list des romans réussis. La fin - Et on sait que chez Stephen King elle peut être très décevante, comme dans Dôme par exemple - est particulièrement soignée et réussie. Holly, héroïne bien malgré elle, porte le roman à elle toute seule. La jeune femme qui a subi "une enfance malheureuse et solitaire" tente de travailler sa confiance en soi alors qu'elle vient de perdre sa mère, son pilier qui vampirisait sa vie et dont le mantra était "N'oublie pas à qui tu appartiens".
Enquêter sur la disparition inquiétante de Bonnie Dahl lui permet de se recentrer. Comme "Il n'existe pas de torture plus raffinée que l'espoir", Holly ne lâche rien et va aller de découverte en découverte pour enfin affronter ce couple habité par un Mal "à la fois prosaïque et extravagant".
"La viande est sacramentelle. Le foie est sacramentel".
On nage en pleine théorie complotiste, mais c'est cela finalement que Stephen King dénonce. La croyance en des choses absurdes, véhiculée par des gens qui semblent bien sous tout rapport, et qui facilite le passage à l'acte.
Holly remplit son contrat et l'auteur tient là un personnage féminin fort, plausible et prêt à résoudre d'autres mystères.
Ed. Albin Michel, mars 2024, traduit de l'anglais (USA) par Jean Esch, 524 pages, 24.90€
Titre éponyme