jeudi 9 septembre 2021

Oppression


Rentrée littéraire 2021

"La jeune femme se maintint au bras de son mari comme à la rambarde d'un navire ; la forêt l'étouffait, les fleurs l'agressaient. Tout l'oppressait (...) Il lui semblait que la vie humaine avait déserté ces terres, que les larges étendues de son enfance au clos Deville s'éloignaient".

Cette jeune femme c'est Aimée Deville épouse Marchère désormais depuis qu'elle a épousé Candre Marchère sur les conseils de son père. Candre "est un homme de nom, de foi et de travail". Il est orphelin et veuf. Il a été élevé par la bonne, Henria, et a su faire prospérer la richesse familiale en exploitant les bois autour de son château. Mais le jeune homme est dominé par la foi et la mesure. Il ne faut pas attendre de lui d'élans passionnés ni de surprises. C'est un homme triste à qui on n'a pas appris comment s'y prendre avec une femme.

"Candre semblait en ce monde comme le sont les animaux sauvages. Il vivait dans la mémoire des autres, dans leurs conversations et leurs paroles".

Donc Aimée a épousé un homme sérieux aux antipodes de son cousin Claude avec qui elle a grandi. Au fil du temps, elle se sent bien seule en sa demeure, réglée par l'emploi du temps du propriétaire. 

"Elle appartenait à ces massifs, à cette maison, elle faisait corps avec la pierre".

Parfois, elle distingue la silhouette d'Angelin, le fils muet d'Henria, qui n'ose pas l'approcher, ou les ouvriers de Candre, au loin.

"Le fils d'Henria appartenait à un monde souterrain, et son corps ressemblait à la nuit".

A force, Aimée se demande si elle supportera encore longtemps sa solitude. Mais au dix-neuvième siècle, on ne divorce pas. Candre ne lui veut que du bien, mais elle n'éprouve pas pour lui une passion à la Jane Eyre. Pour que le temps passe moins vite, elle désire reprendre la musique, la flûte traversière. Ainsi, une professeure venue de Suisse, Emeline, viendra chaque jeudi lui donner la leçon.

Emeline est une bouffée d'oxygène dans le quotidien bien morne d'Aimée. Elle devient même une alliée silencieuse, comprenant les regards, les silences et les confessions à demi-mots de la jeune femme. Aimée ne supporte plus d'être "Une bonne bête de plus au domaine, dressée par la main experte de Candre", surtout depuis qu'elle a découverte qu'Aleth, la première épouse de Candre, a disparu dans des circonstances bien étranges.

"Elle souffrait du père enterré, de la mère silencieuse, du mari absent. Elle souffrait du désir d'être là, absolument là alors qu'il aurait fallu être ailleurs".

Or, à la mort de son père adoré, Aimée perd pied ; elle se résigne à supporter sa nouvelle vie, se persuadant que l'arrivée d'un enfant changera la donne.

"Elle aimait cela, ce sentiment d'être en morceaux, dans ce silence de deuil, où la matinée s'étirait loin des hommes".

Qui pourra la sauver ?

Seule en sa demeure est un roman de l'attente porté par une atmosphère étouffante mis en lumière par le décor ambiant : un château perdu au milieu des bois épais et isolé. Candre est un personnage lisse - trop lisse - sur lequel le lecteur attend un déraillement qui ne vient pas. Ce n'est pas lui qui cache des secrets trop lourds à porter. Et c'est en cela que la narration de Cécile Coulon fait mouche : elle emmène son lecteur sur des sentiers bien balisés pour mieux les perdre par la suite et susciter ainsi l'étonnement. Les personnages secondaires ne sont pas si secondaires que ça. Ils sont déterminants dans la vraisemblance de l'intrigue et tiennent le roman à bouts de bras.

Cécile roman signe un roman moins violent que son précédent, Une Bête au paradis, mais continue d'explorer les méandres de l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus inavouée et de plus retors, en les mettant en lumière avant qu'ils ne soient ensevelis.

"Car ici les âmes enterraient leurs leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles"

Ed. Iconoclaste, août 2021, 333 pages, 19€