mardi 7 septembre 2021

Coup de pied dans la fourmilière

 

 

Rentrée littéraire 2021

Depuis 2015, les éditions Métailié proposent cet auteur islandais dans leur catalogue.

Ma première rencontre avec Eirikur Örn Norddahl s'est faite avec la lecture de Illska, le mal, roman magistral et entier sur les traces laissées par l'Holocauste en Islande. Depuis, deux romans ont suivi, formant une trilogie.

Troll est le début d'un nouveau cycle.


Blaer est le seul prénom épicène de la langue islandaise et c'est celui qu'Ilmur né(e) hermaphrodite a choisi en grandissant. Elle lui a ajouté Hans, forme du pronom personnel Hann. A défaut de s'apitoyer sur son anomalie génitale, elle a décidé d'en faire une force, un élément de provocation et d'attaque contre les bien-pensants.

Hans est très connu en Islande depuis ses débuts à la radio où il fustigeait et soutenait à la fois de nombreuses opinions retranchant ainsi les auditeurs dans leurs paradoxes et faux semblants.

Justement Troll rejette tout ce qui pourrait être contraire à la vérité. Son héros est un kamikaze de la vérité, même s'il faut y perdre son âme. Hans Blaer est un troll moderne. un combattant de l'hypocrisie générale concernant la question de l'identité sexuelle.

"Et troll. Iel est trans et troll.

Etre trans, c'est être sur le spectre du genre. N'appartenir ni tout à fait au féminin, ni tout à fait au masculin, avoir un sexe biologique qui ne correspond pas tout à fait au genre de son âme, ou bien refuser purement et simplement cet esclavagisme binaire. Les trans subissent parfois une métamorphose, parfois non".

Seulement, iel (il+elle) gêne. La provocation, l'arrogance souvent mêlées de sarcasme s'accompagnent aussi d'une pointe de méchanceté. Est-ce pour se venger d'une mère qui n'a pas su le soutenir ou d'un père toujours réfugié en haute mer pour fuir ses responsabilités familiales, ou enfin d'un petit frère bon chic bon genre tout à fait l'image des stéréotypes islandais ?

"Iel a changé de genre un nombre incalculable de fois, a subi au moins autant d'opérations chirurgicales, iel a menti, iel a botté en touche, s'est habillé-é à l'opposé de son genre apparent, a refusé toute catégorisation et s'est "sur le spectre", comme si l'identité de genre n'était qu'un centre d'intérêt, qu'on l'achetait avec la même facilité qu'un pistolet à eau ou un vibro".

Illmur a créé le personnage de Hans Blaer, un véritable freak décadent qui ne cache rien et fait des réseaux sociaux un lieu où étaler ses états d'âme et ses prises de position. 

"Le troll est celui qui trolle, et le public se fait troller lorsqu'il subit un troll, ou de manière plus générale le trollage. La réalité se pare sans cesse de nouveaux concepts, de nouvelles idées, qu'il faut véhiculer par l'intermédiaire de nouveaux termes".

Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Du jour au lendemain, iel devient un paria, obligé de se cacher pour fuir la police et la pègre. Que lui reproche-ton au juste ? Est-ce sa méthode pour le moins révolutionnaire et choquante qu'il utilise dans son centre d'hébergement pour venir en aide aux jeunes gens victimes de viol ? Pourtant, elle semble porter ses fruits...

Jusqu'au bout Hans Blaer s'auto-désigne porte parole d'une génération qui refuse de se choisir un genre imposé par la société.

"Mes frères, mes sœurs et autres froeurs et sères, sommes également des trolls à notre manière. Nous sommes une nouvelle variété de trolls, plus beaux, plus riches, plus indépendants, plus sexy, plus élégants, plus intéressants et mieux disposés que les anciens. Nous ne restons pas dans les jupes de nos mères. Nous avons des causes à défendre et  nous ne trollons pas dans le vide, nous marquons le Net avec la précision du chirurgien, et nous faisons éclater les consciences comme des cerises entre nos doigts".

Troll agrippe le lecteur dès les premières pages. Hans Blaer est le parfait héros - ou anti-héros - qu'on aime et déteste à la fois, doté d'une véritable complexité psychologique et d'une force fictionnelle qui lui fait porter le récit à bouts de bras jusqu'à la fin. Les nombreux personnages secondaires constituent une toile d'araignée censée être représentative de tous les courants d'opinion de la société islandaise actuelle.

L'auteur n'hésite pas à choquer plus d'une fois le lecteur pour dénoncer les excès en tout genre largement facilités par les médias et les réseaux sociaux. Hans Blaer est un freak moderne à la sexualité décomplexée, porte-parole de ses froeurs et sères mais avec un cerveau bien rempli et aux objectifs bien définis. Sa trop grande lucidité peut aussi l'amener à sa perte.

Encore une fois, Eirikur Orn Norddahl sort des sentiers battus. Son roman interpelle, interroge et éclaire sur nos contradictions sociétales en n'épargnant personne.

Une belle réussite.

Ed. Métailié, collection Bibliothèque nordique, août 2021, traduit de l'islandais par Jean-Christophe Salaün, 368 pages, 22€