"A Ecorcheville, on était en France, mais on n'y était pas tout à fait. On était en principe français, et on ne l'était pas vraiment. A cause de ce fleuve qui la bordait, qui roulait contre sa seule berge humaine sont flot immémorial. A cause de l'Eternité à laquelle Ecorcheville faisait face, on était citoyen d'un non-dit".
"Les plaies d'Ecorcheville sont plus diverses et plus nombreuses que les dix plaies d'Egypte dans la Bible". (Coriandre)
"Vous verrez, Ecorcheville, c'est un peu spécial, un folklore, une ambiance, un esprit très à part, m'a dit le chef de cabinet avant mon départ. Le bon apôtre"! (Ivredeau)
"De tous temps, comme sur une frontière disputée, jamais clairement tracée, des signes issus d'un ailleurs mythique sont parvenus à Ecorcheville".
Le signes annonciateurs d'un désastre sont pourtant là : les Harpies hurlantes envahissent la ville laissant une odeur nauséabonde, les Moires (les Parques) déroulent leurs fils en tenant une boutique de prêt-à-porter et le psychiatre de l'institut Ouranos ne cache plus sa véritable identité, Janus, dieu romain des Commencements et des fins. Et toute cette charmante population se retrouve au bal alors qu'on atteint l'acmé des pluies torrentielles.
Or nous sommes à Ecorcheville, dans le tome trois du tryptique commencé dans la fiction un demi-siècle plus tôt dans L'Autre Rive, et donc rien ne se passe normalement. Au milieu de l'enfer annoncé, un espoir : celui de l'angelot tombé du ciel protégé par l'Evêque Propinquor. L'imagerie chrétienne reprend des couleurs tandis que Charon passe les défunts de la catastrophe...
Ce roman (comme les deux précédents d'ailleurs) se lit avec délectation, doucement, pour en saisir toutes les subtilités et les intelligence. Il est d'autant plus brillant qu'il est souvent drôle et Châteaureynaud a su inventer un lieu à la fois comme le nôtre et totalement différent. La mythologie antique servait autrefois à expliquer la nature humaine, ses travers, ses choix, ses peurs. Intégrée dans un univers contemporain, elle nous rappelle notre condition et ravive nos désirs de savoir ce qu'il y a après... Le minotaure Astérion en raconte les secrets à Strabon Martin, le directeur du Musée de tératologie, néanmoins nous en serons rien comme pour nous rappeler que la force de l'imaginaire balaye tout, pour notre plus grand bonheur de lecteur.
La trilogie de l'autre rive, troisième époque
Ed. Grasset, octobre 2023, 384 pages, 24 euros