mardi 1 octobre 2024

EROSION



Trois dates coupent ce roman en trois parties. Trois dates cernées par la Covid qui - forcément - aura un impact sur les protagonistes. Qui sont-ils ? Une famille composée des parents, Isabel et Dan, des deux enfants, Violet et Nathan, et du frère de la mère, Robbie, qui vit dans le grenier de la maison mais qui doit déménager bientôt. Robbie, très vite, apparaît comme le ciment du couple qui l'héberge. Il est le trait d'union entre les deux alors qu'il est l'homosexuel esseulé.

"Robbie est aussi amoureux d'Isabel et de Dan. Ou plutôt, il est amoureux de la créature unique qu'ils sont devenus malgré eux ; la mélancolie lucide, un peu brusque d'Isabel, joint à l'optimisme éhonté de Dan (...) Robbie est amoureux de la personne qu'ils ont créé ensemble".
Il est le confident des adultes, le compagnon de jeu des enfants, surtout de Violet, et il est aussi le créateur de Wolfe, un personnage fabriqué de toute pièce sur Instagram, à qui il fait vivre sa meilleure vie à travers des images pillées sur le net...

Avant que le virus frappe le monde, Isabel et Dan étaient déjà sur la tangente. Elle est un rien névrosée "à moitié identifiable" selon elle, toujours en quête "de son moi authentique". Dan tente un come-back dans la musique alors qu'il n'a jamais vraiment percé. Comme il y a les enfants et Robbie, qui n'a toujours pas trouvé d'appartement, ils font comme si tout allait bien.
"Elle ne sait pas au juste quand elle a cessé d'être le personnage central de sa propre histoire et est devenue, à la place, la sœur envieuse et cupide, sa propre jumelle de l'ombre, celle à qui tout a été donné et qui pourtant continue de râler, C'est pas assez".
Et puis le confinement arrive. Heureusement, Robbie "est celui qui est monté à bord du train", il n'est pas resté à Brooklyn et a préféré les grands espaces d'Islande. Chaque jour, Isabel s'isole dans les escaliers de sa maison pour suivre Wolfe sur Instagram et à travers lui, deviner des nouvelles de son frère.

Et les gosses dans tout ça ? Violet compense le départ de Robbie par une paranoïa à toute épreuve - il faut à tout prix que les fenêtres soient fermées, tandis que Nathan accueille ses copains en cachette de ses parents. Tous les deux savent très bien que leurs parents ne s'aiment plus.
"Nathan et Violet semblent avoir accepté le fait qu'ils ne sont ni plus ni moins que les plus jeunes membres d'un équipage formé au hasard qui a pour nom "famille", pour d'obscures raisons juridiques".
Trois dates pour trois bouleversements dont le dernier apparaît comme un long épilogue aux deux autres. La question fondamentale que Michael Cunningham pose est celle de l'empreinte de l'enfance sur notre vie d'adulte. Notre enfance nous survit-elle ? Nous impacte-t-elle encore des années après ?
Un jour d'avril est un roman à huis clos, dont les seules escapades ne sont finalement que virtuelles. C'est le récit des émotions, des caractères qui changent avec l'âge, des regrets, de la culpabilité. Et puis, avec les deux enfants, l'avenir pointe le bout de son nez, les projets aussi.
Parfois, j'y trouvé des échos de La Maison du bout du monde (1997) du même auteur, à travers le personnage de Robbie et l'ambiance de la dernière partie du roman.

A découvrir.


Ed. du Seuil, août 2024, traduit de l'anglais par David Fauquemberg, 320 pages, 22.50€
Titre original : DAY