lundi 13 mai 2024

L'entropie en marche


De l'œuvre de Jo Nesbo je ne connais pas grand chose si ce n'est Le Bonhomme de neige lu il y a bien longtemps et Leur domaine (Série Noire Gallimard, 2021), mais ce dernier opus m'a attirée car c'est un recueil de quatre nouvelles ancrées dans un futur dystopique et forcément angoissant.
Le titre du recueil doit son nom au titre éponyme de la première nouvelle et la plus longue du livre. D'entrée, le ton est donné. Rien ne va plus dans le monde, tout s'effondre et on ne sait pas trop pourquoi ni comment. Les cartels financiers et économiques ont pris le pouvoir. La loi du plus fort et à défaut, du plus riche, règne. Les personnages naviguent à vue pour leur survie car les repères ont changé.
"La réalité est bien entendu qu'aujourd'hui les inventeurs et directeurs des cartels ont des revenus mille fois supérieurs à ceux d'un salarié moyen. Lequel est, dans quatre-vingt pour cent des cas, en contrat précaire, n'a pas l'ombre d'une possibilité de planifier à long terme et se voit obligé d'installer dans le bidonville de plus en plus vaste qui ceint  la ville de toutes parts, sauf au nord".

la sécurité individuelle est un bien grand mot. Rat Island devient même  la terre promise, un havre de paix alors que, comme son nom indique, elle est le royaume des rats...
A travers les histoires de La Déchiqueteuse ou encore l'Antidote, ce sont les rapports amicaux, familiaux et paternels qui sont passés au crible au point qu'ils empoisonnent les individus et enlèvent à chacun leur libre arbitre. Et même si ce n'est pas encore la fin du monde, les maladies accélèrent le processus, telle l'étrange hadésite, maladie sexuellement transmissible et hautement mortelle. Seulement, parfois, ne vaut-il pas mieux , ne  plus être de ce monde plutôt que vivre dans un monde devenu fou ?
"La mort est tout de même la gravité suprême. L'ennemi constamment sur notre trace, que nous consacrons notre vie à fuir, mais qui tôt ou tard nous retrouvera. Ce ,'est qu'une question de temps".

Dans ces quatre nouvelles, Jo Nesbo ne fait qu'expliquer finalement l'adaptation constante de l'être humain face à l'inconnu et ses dangers

"Ils ont appris ce qu'ont doit faire pour survivre par les temps qui courent, ou plus exactement pour vivre un peu plus longtemps que la personne qui a besoin de la même chose que soi".

Comme l'exprime Colin dans Rat Island, les hommes se dirigent inéluctablement vers l'entropie de leur monde, témoins impuissants de la destruction massive qu'ils ont mis des décennies à construire et à structurer.

Ainsi, vous l'aurez compris, le dernier livre de Jo Nesbo ravira les amateurs de dystopie. Rien ne va plus et rien de meilleur n'est prêt à advenir.

Ed. Gallimard, collection série Noire, avril 2024, traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, 448 pages, 21€