mercredi 15 mai 2024

Marstalgie

 



"Les médias et les réseaux sociaux s'étaient interrogés tant et plus sur l'incident qui avait frappé MarsUnivers. Un vertige d'hypothèses et de clichés : c'était une maladie foudroyante sur une tempête dévastatrice, une panne générale, une mutinerie... L'agitation médiatique était relancée".

Le retour de Clay Sawyer sur Terre agite aussi bien l'Agence que les médias. Que s'est-il passé sur la station MarsUnivers pour qu'il soit le seul survivant et comment a-t-il fait pour revenir ? Seulement, pour Clay, ces questions sont secondaires. Il a perdu son épouse dans le désastre et depuis son retour il souffre de ce qu'il appelle la marstalgie. Il a l'impression de vivre un rêve éveillé. Les paysages de Californie lui semblent irréels et les couleurs lui rappellent les déserts martiens.

"Je me consumais de marstalgie. Une nostalgie inversée, à rebours de la logique. Au lieu de désirer là-bas la brise printanière ou la pluie d'orage, je m'abîmais ici dans l'absence de dunes noires et de champs de lave chenalisées".

De plus, l'astronaute souffre d'amnésie dissociative. Il a besoin de remettre les épisodes du passé dans l'ordre et pour cela il lui faut du temps que l'Agence ne veut pas lui accorder. Des sommes folles ont été perdues avec l'échec de l'expédition et il leur faut un bouc-émissaire. Il est préférable de miser sur une erreur humaine plutôt qu'une suite d'erreurs techniques. Ainsi, Clay est à la fois leur meilleur atout technique et leur principal obstacle.

"Je n'étais ni mort ni vivant, j'étais hanté".

Alors que les forêts californiennes brûlent et que des méga incendies se propagent, Clay tente de se reconstruire une santé physique et mentale. Néanmoins, il subit une telle pression qu'il a l'impression d'être suivi et surveillé. Penser à Mars lui permet de s'échapper de son quotidien, de se libérer de ses obligations. Le rêve collectif d'une seconde Terre qu'il portait jadis lui semble de plus en plus dérisoire.

"Je savais que je devrais me refabriquer une ossature, des muscles, un cœur. Il nous avait aussi prévenus: d'être là-bas, il y aurait quelque chose de trop pour nos petites âmes humaines, et on le ramènerait avec soi".

L'astronaute pense fortement que Mars était une terre plus complète, son nouvel eldorado qu'il a dû abandonner malgré lui. Là-bas, il y a enterré son épouse Anita et tous ses espoirs

"Ce qui me manquait le plus, ce n'était pas la mémoire mais un avenir, un temps où je pourrais commencer à entrevoir une vie possible".


La Terre est devenu pour lui un monde secondaire. Sur Mars, il a fait l'expérience des larmes et de la solitude. Depuis son retour, il a la sensation de croire que ce qu'il voit n'existe pas pour de bon. Il souffre, selon sa psychologue, d'inversion élémentaire. Simplement, même sa thérapeute tente de l'orienter vers une pleine et entière responsabilité du désastre martien. Doit-il accepter de tout endosser pour disparaître ou pointer du doigt les défaillances de la mission ?

L'occupation du ciel est saisissant à plus d'un titre. Il est à la fois un roman d'anticipation et un roman psychologique. Il aborde le thème de la solitude avec un regard neuf, hors des sentiers battus. Clay Sawyer est loin d'un super-héros. Il nous ressemble : il doute, il pleure, il regrette, il a peur...

Pendant que la Terre brûle, la possibilité d'un avenir ailleurs s'étiole et l'occupation du ciel interroge. Ainsi, sommes-nous voués à disparaître sur notre vieille planète ? Dans le roman, le pire danger du progrès scientifique reste humain : nous sommes notre propre ennemi, voué alors à notre perte.

Et alors que nous nous demandons comment sera notre avenir, les vestiges de nos tentatives illusoires de colonisation extraterrestre reposent sur le sol de Mars.

Un très bon roman à découvrir.

Ed. Rivages, collection Imaginaire, mars 2024, 272 pages, 21€