lundi 27 mai 2024

Gare à la lobotomie !


  
En 1943 aux Etats-Unis, il n'y a pas beaucoup de perspectives pour les femmes et cela Janet l'a bien compris. On peut compter sur les doigts d'une main celles qui ont osé s'émanciper et parmi elles, une certaine Nellie Bly, journaliste d'investigation que Janet admire plus que tout.

C'est en voulant lui ressembler que l'héroïne de ce roman va fuir une mère dépressive et un père toxique. Elle laisse - à son grand regret - son grand frère adoré, George, avec qui elle va entretenir une correspondance depuis Washington.

Car c'est dans la capitale que Janet a le plus de chance de se tailler un nom et une réputation. A force d'audace, elle entre au prestigieux Washington Globe, sous l'œil goguenard de la majorité masculine. Son truc à elle, c'est de se servir des hommes comme eux se servent d'elle sans que cela n'affecte sa vie privée. De toute façon, Janet ne veut pas se marier, elle est trop indépendante et carriériste pour cela.

Ce qui la fascine, c'est la révolution en marche des pratiques neurochirurgicales pour traiter les maladies mentales. La jeune femme est sensible à ce sujet, voyant elle-même à quelle point sa mère souffre. Justement, le docteur Freeman a mis au point un nouveau traitement, la lobotomie préfrontale (puis transorbitale), sensée guérir les maladies de l'âme. 
"Il s'agit de réparer ce qui est défectueux. Mon expérience me permet d'affirmer que les troubles mentaux ont une explication organique. Ce sont les connexions entre les différentes parties du cerveau qui fonctionnent mal, chez les malades mentaux. La psychochirurgie agit sur ces connexions".
Janet tient son sujet, et en plusieurs épisodes publiés au Washington Globe elle explique les tribulations du médecin, ayant la chance de pouvoir le suivre à travers le pays.

Seulement, au fil du temps, en bonne journaliste, Janet sent qu'il y a un leurre. La lobotomie n'est pas aussi parfaite qu'elle en a l'air. Plusieurs patients opérés ne sont pas guéris et ont replongé dans la dépression. Elle ne veut pas que ses articles servent de faire valoir à une pratique dangereuse. Seulement, en tant que femme, elle se heurte à sa hiérarchie et en tant que journaliste, elle comprend vite qu'il n'est pas bon de vouloir publier des articles polémiques. 

Et tandis que Janet se débat dans ses préoccupations professionnelles et se heurte de plein fouet aux questions d'éthique, George sombre de plus en plus, attaché à une relation homosexuelle toxique et sans issue.
"Ma vie ressemble à un cratère et je me recroqueville au fond du trou".

Grâce à un style qui va droit au but et des chapitres courts, Claudine Desmarteau réussit d'emblée à embarquer le lecteur dans son aventure. Le contexte historique donne du relief à l'histoire et l'héroïne, Janet, "petit bâton de dynamite", apporte du rythme à l'ensemble. Ce petit bout de femme ne s'en laisse pas compter et son énergie transpire à chaque page.

Le Nobel des massacreurs doit son titre au Prix Nobel controversé attribué au portugais Egas Moniz sur ses travaux sur la lobotomie. A travers ses écrits, on replonge dans les idées reçues médicales des années 40 où la femme était par nature hystérique et les homosexuels considérés comme déviants. Ainsi le prisme de ce roman permet de mieux appréhender ce qui se jouait à travers la mise en avant et la publicité de la pratique de la lobotomie.

Sans en avoir l'air, Claudine Desmarteau signe là un livre qui raconte, instruit et attire le lecteur.
A découvrir !

Ed. Gallimard, collection Sygne, mai 2024, 400 pages, 22€