Rêver dans son sommeil est pour chacun une aventure intérieure. On ne sait jamais à l'avance de quoi le rêve sera fait et si on s'en souviendra au réveil. En fait, tout est bien plus simple que l'alchimie du vécu, du désir et des actes manqués car, à chaque fois qu'on s'endort, sans s'en rendre compte, nous nous rendons dans une ville où se trouve le grand magasin des rêves.
L'établissement tenu par le discret et bienveillant Dollagot se divise en quatre étages en fonction des thèmes des rêves recherchés. C'est là que la jeune Penny a postulé pour son premier emploi et se retrouve à l'accueil, lieu stratégique où elle aiguille les dormeurs en fonction de leurs désirs de rêves.
Dans ce monde, on croise des chiens qui parlent, les Noctylucas, chargés d'habiller les visiteurs-dormeurs trop dévêtus ; on trouve aussi des balances à paupières personnalisées qui permettent de voir à quel moment le client sombre dans le sommeil ; on peut boire la soupe au lait aux oignons afin d'avoir un sommeil profond ; enfin, on ne paye pas en argent sonnant et trébuchant, mais à crédit en émotions qui remplissent peu à peu des bocaux spécialement conçus.
Seulement, qui dit rêves, dit histoires. Heureusement, le grand magasin peut compter sur des auteurs à succès, chacun spécialisé dans un domaine : le cauchemar, la vie rêvée, les voyages ou encore les rêves spécialement conçus pour les animaux domestiques... Tous se retrouvent une fois l'an avec le directeur chez Nicolas qui vit loin de tout, au sommet d'une montagne enneigée.
Dans la ville des rêves, c'est un peu Disneyland sans la musique et ses personnages.
"Comme il n'est pas rare que les visiteurs endormis se déplacent sans chaussures, les rues sont parfaitement entretenues : l'intérieur d'une maison ne saurait être plus propre".
La narration du roman est entrecoupé de ces story-stelling à succès. Le magasin des rêves est un refuge, un monde à part où chacun y trouve son compte, même ceux qui souffrent encore de la perte d'un proche. Comme le dit Nicolas :
"Créer un rêve, c'est mettre en scène une vision qui n'existe pas dans le monde réel. Rêve et vision ça va ensemble".
Et pourtant, Penny se pose toujours la même question. Pourquoi rêve-t-on ?
"Je me pose cette question chaque fois que je pense aux rêves. Pourquoi dormons-nous et pourquoi rêvons-nous ? Je pense que c'est parce que chacun de nous à sa manière est imparfait et défaillant (...) Je pense que... le sommeil et les rêves sont des virgules tracées par un dieu comme autant de pauses dans une vie trépidante".
Comme des mililards de gens rêvent, il faut des milliards de rêves. C'est pourquoi certains tentent de détourner sa vocation première et se lancent dans la production industrielle d'histoires rêvées comme les fées Leprahon. Heureusement, le directeur Dollagoot et son équipe veillent au grain. Rêver est un moment trop précieux pour le dénaturer.
Le Grand magasin des rêves a été un grand succès en Corée. L'autrice offre un roman où le sujet fait rêver par son originalité, ses personnages et ses anecdotes. On tourne les pages avec plaisir, happé(e) par cette histoire merveilleuse de cette ville imaginaire avec son magasin extraordinaire, en voulant croire qu'ne fois endormi(e) on le découvrira à notre tour.
Original et réussi. Vive la littérature asiatique !
Ed. Philippe Picquier, janvier 2024, traduit du coréen par Choi Kyungran et Pierre Bisiou, 306 pages, 22€
Titre original : Dollagoot kkum Baeskhwajeom