Dans les années 80, le rêve américain est devenu pour certains Un rêve lointain. En tout cas, force est de constater que pour Jackie, ancienne hôtesse de l'air au charme imparable, il est devenu une illusion. Certes, en apparence tout va bien : elle roule en jaguar, elle est propriétaire d'une belle maison que son ex mari lui a laissé après le divorce, et elle n'a pas besoin de travailler. Seulement ce ne sont que des apparences : la maison ne lui appartient pas et elle a deux mois de loyer en retard qu'elle doit à son ex ; ses économies ont fondu et elle se voit contrainte de demander de l'argent à ses sœurs pour se maintenir à flot ; enfin elle ne prend guère de nouvelles de ses enfants qui, selon elle, n'ont pas su saisir les opportunités pour réussir...
Alors Jackie boit, seule, et de plus en plus, tentant de juguler ses idées noires.
"Aucune raison d'arrêter de picoler. Rien ne la forçait de se lever à sept heures. Elle pouvait rester au lit si elle voulait. Mais quelque chose ne tournait vraiment pas rond dans tout ça. Si elle restait au lit, elle y mourrait. Pas de manière soudaine. Elle se décomposerait. Flétrirait et mourrait".
Que faire quand on n'a rien à faire ni rien à quoi se rattacher ? Son petit ami du moment ne la comble pas, elle méprise sa fille Deidre qui se contente de vivre dans un modeste pavillon dans un quartier dangereux avec son mari, et son fils Derek est l'incarnation même de la procrastination. Justement, ce dernier n'arrive plus à faire illusion auprès de ses parents. Comme d'habitude son père refuse de lui prêter de l'argent, alors il s'acoquine avec de petits délinquants espérant se renflouer au plus vite.
Un braquage tourne mal et voilà Derek en prison. Jackie trouve enfin une raison de se bouger. Elle se démène pour le sortir de là et accueille son fils chez elle, même si elle a horreur de rompre sa solitude. Malgré tout, cela ne l'empêche pas de boire et de plus en plus. Derek comprend alors qu'il va falloir lui trouver un emploi s'il veut échapper au désastre...
Un Rêve lointain, traduit pas Céline Leroy, traductrice historique de l'auteur, est le dernier roman de Don Carpenter publié de son vivant. On y retrouve les thèmes chers à l'auteur : la mélancolie, la difficulté d'être soi et les illusions d'une société qui n'hésite pas à vous étrangler en vous prenant dans les mailles de son filet.
Les personnages sont vrais et attachants : Jackie est un petit bijou fictionnel comme l'était déjà Jack dans Sale temps pour les braves. Elle incarne LA femme désœuvrée prête à faire n'importe quoi pour avoir l'impression de vivre.
Le désir éperdu de réussite et les névroses qu'il engendre sont au cœur de ce roman. Chacun navigue derrière des apparences trompeuses et se retrouve seul une fois la porte du logis fermée. Derek est le miroir de l'Amérique des années 80 : réussir vite et sans effort quitte à faire des choix douteux. Alors que Don Carpenter écrivait sur la possibilité de la réussite dans Un dernier verre au bar sans nom dans les années 60-70, Un rêve lointain rompt avec cette idée. Plus rien n'est possible finalement, on se démène pour rien, la fin est proche.
Un grand livre.