jeudi 12 octobre 2023

"Tout ira bien"



Comment se réinventer en apportant sa petite contribution à un monde plus en phase avec la nature ? C'est tout le sujet du dernier roman de l'autrice prodige islandaise qui, chaque année grâce à la traduction d'Eric Boury, nous ravit d'un roman toute en élégance et en finesse.

Eden n'échappe pas à la règle. Malgré le titre, la religion  n'est pas le sujet, encore que, dans la lande parfois, la narratrice, Alba, entend à la radio une certaine Radio Apocalypse. Non l'Eden en question est le petit coin de paradis qu'Alba va résolument créer au fil du temps.

Linguiste de renom de "la langue nationale la plus faiblement diffusée", citadine, elle désire tourner la page à une vie trop rapide pour elle qui adore se perdre dans l'origine des mots islandais et leur évolution. Elle achète plusieurs hectares à une autrice de polars islandais perdus dans la lande et les champs de lave, sur lesquels trône une maison délabrée. 

"Aucune phrase, aucun mot ne viennent à l'esprit.

Le silence a conquis le monde.

C'est le monde avant que le langage n'apparaisse".

Pour compenser son empreinte carbone elle a résolument l'intention d'y planter plus de cinq mille arbres, conseillée par Hlynur l'ami de son père. Avec l'aide de professionnels du village voisin elle retape sa maison et crée son jardin potager. Comme le réchauffement climatique est en marche, peut-être pourra-t-elle même y ajouter un verger...
"Tout à coup, j'avais l'impression d'être dans cette maison qui n'était plus une maison, mais un palais dont je gravissais l'escalier qui conduisait au grenier servant de dortoir".
Alba est cœur des conversations villageoises. Elle traîne sa réputation avec elle depuis qu'un jeune auteur a publié un recueil de poèmes consacrés à son impossible histoire d'amour avec sa professeure. Pourquoi une citadine a-t-elle quitté son travail, ses étudiants et sa vie pour se perdre là-haut ? Or, les rumeurs glissent sur Alba sans les atteindre. Elle enseigne bénévolement l'islandais à des réfugiés et devient la tutrice de l'un d'entre eux, Danyel, qui voue une passion peu commune pour cette langue si difficile...

Malgré le départ d'Alfur le voisin qui a préféré vendre ses terres à une entreprise qui veut créer des glaçons, les réflexions de sa demi-soeur Betty qui ne comprend rien au comportement d'Alba, la jeune femme ne lâche rien. Son père, à qui elle téléphone quotidiennement, la soutient et n'hésite pas à lui rappeler : "Nous sommes à chaque instant au centre de notre existence", sorte de mantra dont elle va s'emparer.

Peu à peu, Alba se fait une place dans la communauté grâce à sa discrétion et à sa volonté sans faille. Son Eden prend forme et Danyel l'aide beaucoup, entre deux comptages de perdrix des neiges. Comme le biotope en symbiose dit que chaque arbre doit trouver son champignon, Alba a trouvé le sien et ses rêves l'élèvent toujours plus haut pour contempler son domaine.

"C'est mon domaine.

Mon royaume".

Eden explique que se réinventer est possible tout en mettant en lumière les paradoxes de l'existence. L'Islande, paradis préservé de l'humanité, est lui aussi touché par le réchauffement climatique et la pollution. Alba décide à sa façon de rembourser sa dette à la planète en y créant son propre jardin.

Comme d'habitude, les chapitres courts, les dialogues percutants et le style à la nonchalance soignée touchent au but. On suit avec plaisir les pérégrinations d'Alba et on l'accompagne dans son cheminement intérieur. Eden est un trésor de lecture à ne pas manquer.


Ed. Zulma, septembre 2023, traduit de l'islandais par Eric Boury, 256 pages, 21.50€