Telle est la question philosophique que se pose le voyageur du temps Gaspery, envoyé par sa sœur Zoey, physicienne à l'Institut du Temps, à travers différentes époques de l'histoire du Monde afin de comprendre et résoudre un dysfonctionnement récurrent. Gaspery doit rencontrer celles et ceux qui ont été témoins d'un flash intense proche de l'hallucination, durant lequel ils entendent une berceuse jouée au violon suivi d'un bruissement étrange. Parce qu'il se répète à différentes périodes, ce moment est inquiétant pour les ingénieurs du futur car il pourrait être la preuve d'une corruption dans le système.
Mais qui dit système, dit fichier, et la possibilité d'une corruption de fichier dans l'axe du temps prouverait finalement que le monde dans lequel nous évoluons n'est qu'une gigantesque simulation.
A partir de ce postulat à la Matrix, Emily St John Mandel construit son roman à partir d'un axe temporel permettant les allers-retours. Ainsi, le lecteur suit Gaspery de 1912 à 2401. Les Terriens ne le sont plus vraiment puisque la majorité d'entre eux vit sur la Lune depuis plusieurs générations. N'empêche "qu'une vie vécue sous un dôme n'en reste pas moins une vie" et croire que finalement nous rêvons nos vies est un obstacle trop difficile à franchir.
A force de rencontres et de déductions, Gaspery fait face à une réalité qui le dépasse et remet en cause tout ce dont à quoi il croyait. Ses voyages deviennent un immense terrain de jeu où en démiurge de l'instant, il décide ou non de changer les événements. Seulement, dévier de l'axe temporel risque d'avoir des répercussions sur le présent...
La Mer de la Tranquillité est un roman d'anticipation qui joue avec les nerfs du lecteur jusqu'à un ultime rebondissement.
Emily St John Mandel n'hésite pas à faire référence plusieurs fois à son roman précédent, l'Hôtel de verre, en y reprenant certains de ses personnages ainsi que la géographie des lieux, Caiette, en Colombie Britannique. Mais ce qui est surtout prégnant dans ce texte, c'est la réflexion métaphysique qui s'en dégage. Sommes nous maîtres de nos existences ou simplement les pions d'une simulation qui nous dépasse ?
Au-delà, c'est la réalité des choses qui est remise en cause. Et si le monde n'est qu'une apparence, qu'est ce que la réalité ?
Finalement, La Mer de la Tranquillité peut être une version moderne de l'allégorie de la caverne de Platon prenant compte de l'évolution de l'Humanité.
Ed. Rivages, août 2023, traduit de l'anglais (Canada) par Gérard de Chergé, 304 pages, 22€
Titre original : Sea of Tranquility