Que vaut une promesse accomplie avec trente ans de retard ? Pourtant, Ma, avant de mourir, a promis en fait peu de choses à sa domestique tswana Salomé : une maison insalubre aux vitres cassées dans laquelle Salomé vit avec son fils depuis toujours. Pourtant, c'est tout un symbole en pays Afrikaner en 1986 : comment une noire pourrait-elle devenir propriétaire de sa propre maison ? Pourtant Pa a promis sur le lit de mort de son épouse et sa dernière fille, Amor, a tout entendu. Mais Pa est un homme faible, influencé par l'avide Alwyn Simmers, prêtre protestant qui convoite ses terres pour y construire son église. Alors, il tait la promesse, fait comme si Ma n'avait rien demandé. Et puis ses aînés, Astrid et Anton n'auraient pas compris sa démarche de toute façon.
"C'est Salome, évidemment, qui habite à la ferme depuis toujours, dirait-on. Mon grand-père en parlait de cette manière, Oh, Salome, je l'ai eue avec la propriété".
Sauf qu'Amor est tenace. Depuis qu'elle a été touchée par la foudre un soir d'orage sur la propriété, elle opère une certaine distanciation avec le reste de la famille. Elle désire que son père tienne sa promesse, mais que valent les paroles entendues ?
"Regardez-les s'envoler, passer la porte, suivre le couloir, passer par la fenêtre. Ils s'élèvent au-dessus de la ville, une petite troupe en forme de poème, à la recherche de la femme à qui est destiné ce chant".
Amor s'éloigne des siens, cultivant de la rancune. Les années passent, l'Afrique du Sud tourne la page de l'Apartheid, la famille Swart (noir en afrikaner) vole en éclat. Depuis la mort du patriarche leurs certitudes bien ancrées vacillent. Anton se met à boire, incapable de supporter ses faiblesses, tandis qu'Astrid côtoie la bourgeoisie locale afin de se trouver une place dans la nouvelle société mixte. Amor, elle, revient de loin en loin sur ses terres jadis spoliées et maintenant réclamées par un groupe autochtone.
"Le sang est la plus épaisse des colles" chez les Afrikaners. Quand Amor enterre son frère, elle est la dernière survivante d'une famille rongée par la possession. Elle va enfin pouvoir tenir la promesse de sa mère. Salome est vieille désormais et les temps ont changé...
Damon Galgut pèse les points de vue, donne la parole à chacun des protagonistes. La promesse est le fil d'Ariane du roman. On y revient toujours mais elle est nuancée, soupesée, éloignée comme si on tentait en vain de tirer une épine du talon. Amor assume mais c'est au prix d'un éloignement et d'une solitude qui la poursuivra toute sa vie.
Une famille a défendu bec et ongles des terres arides sur lesquelles rien ne pousse. Une famille a refusé pendant des années de donner une maison de guingois pour de mauvais prétextes. Que valent ces terres remplies de misère ?
Le style de Damon Galgut favorise les ellipses, les dérives. On y trouve aussi un ton sarcastique parfois. La religion en prend pour ses frais. Il raconte comment la violence et les certitudes racistes d'un pays restent dans les familles et comment ces dernières se sentent perdues quand les mœurs changent.
Admirable.
Ed. Points Seuil, avril 2023, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Helene Papot, 288 pages, 8.30€
Ed. de L'Olivier pour le grand format
Titre original : The Promise