Sebastian Barry reprend un dramatique épisode de l'histoire irlandaise en toile de fond de son nouveau roman afin de donner de l'épaisseur à son personnage principal, Tom Kettle, inspecteur de police à la retraite, et c'est plutôt réussi.
Ce qui est fascinant dans l'écriture de l'auteur c'est cette facilité de passer du réel au fantasmé, au point que le lecteur ne sait plus où se situe la vérité.
"Bien sûr, son histoire le poursuivit dans le sommeil, son cerveau continua à lui raconter une histoire détachée de son moi en éveil".
Tom Kettle est un personnage rongé par son passé d'enfant sous la coupe des prêtres, d'époux d'une adorable épouse autrefois abusée par des religieux et de flic efficace qui n'a rien pu faire contre l'omerta en faveur de l'Eglise catholique.
Maintenant à la retraite, veuf, il vit chichement dans une petite location face à la mer où il goûte à la solitude que la vie lui a imposé. Tom est un survivant. Il a survécu à la violence des institutions, au décès de sa June et à la disparition de ses deux enfants. Il attend patiemment que le rideau tombe définitivement et se surprend parfois à discuter avec ses défunts.
"On ne pense pas à la vie tant qu'on n'a pas essayé de la quitter. Ni à la mort, tant qu'on n'est pas en train de mourir".
La visite de deux de ses anciens collègues le ramène à la réalité. La police décide de rouvrir le dossier concernant la mort suspecte du père Matthews, soupçonné de pédophilie.
"Tom sentait qu'il allait au devant des ennuis, il le sentait avec son instinct de flic, sans en connaître encore la forme, mais d'une certaine manière, la baie l'avait libéré, elle l'avait autorisé pendant une minute providentielle à une folle liberté où son âme et son cœur étaient secoués et renouvelés dans le même instant, dans le même souffle".
Les policiers ont à la fois besoin de son expertise mais, dans le même temps, ils espèrent qu'il va enfin parler puisqu'au moment des faits son épouse et lui ont été vus sur les lieux du crime. Seulement voilà, Kettle ne sait plus vraiment si ses souvenirs sont réels ou des versions fantasmées par son esprit pour lui donner la force de vivre encore un peu.
Au bon vieux temps de Dieu n'est pas un roman policier au sens strict du terme. Il est plutôt l'exploration à long terme des conséquences des violences perpétrées par les prêtres sur des enfants. Sous l'apparence d'une vie heureuse et structurée, la plaie reste béante surtout quand justice n'a pas été faite. Alors faut-il procéder à la loi du talion et se faire justice soi-même ? Tout au long du récit, on sent la lutte intérieure du personnage principal, remarquablement réussi, tiraillé entre son désir de vengeance et sa loyauté envers les lois. Néanmoins, quand il sent qu'il est au bout du chemin, Tom se demande ce qui peut bien encore le retenir. Même sa fureur a subi les assauts du temps.
Tout en pudeur, Sebastian Barry offre le roman d'un homme seul aux souvenirs tenaces, perclus de regrets et de peine.
Très réussi.
Ed. Joelle Losfeld, septembre 2023, traduit de l'anglais (Irlande) Par Laetitia Devaux, 255 pages, 22€
Titre original : Old God's Time