mardi 20 juin 2023

Expériences de l'exil

Le destin de Huong est intimement lié à l'eau. Enceinte et maman d'un petit Thuan, elle a fui le Vietnam communiste sur un boat people en laissant son mari Cuong sur le rivage qui, au dernier moment, lui a lâché la main. Ce dernier geste l'a hantera longtemps, refusant d'y voir par là une rupture volontaire, le souhait de ne pas les suivre.

C'est toujours près de l'eau qu'Huong se construit une nouvelle vie avec ses deux fils en bas âge. Elle emménage dans une résidence pompeusement appelée Versailles au bord du bayou de la Nouvelle-Orléans. C'est là que Thuan et son frère Binh vont grandir et s'approprier la ville, tandis que leur mère, laborieusement, va s'intégrer, travailler et trouver un nouveau conjoint.

Malgré son absence, Cuong n'est jamais loin. Pendant des années Huong enregistre des cassettes, vante l'intelligence de son mari, explique qu'il est resté au pays, jusqu'au jour où, après avoir reçu une missive brève et sans appel de sa part, elle comprend qu'il vaut mieux faire croire aux enfants qu'il est mort.

"Elle les laisserait à l'écart de ce père resté là-bas, de la famille qu'ils auraient pu former, de l'injustice quant à ce qu'ils avaient perdu. elles pourraient les protéger à condition qu'ils oublient. Elle les protègeraient à condition qu'elle-même oublie".

Déboussolés, acceptant difficilement leur statut d'immigrés, Thuan et Binh vont se chercher et prendre des chemins radicalement différents. Tandis que l'un va tenter de trouver une nouvelle famille au sein d'un gang de vietnamien, l'autre va faire son coming out et, sous l'œil bienveillant d'un patron qui a vu en lui son intelligence, va entrer à l'université pour des études brillantes en littérature. Tous les deux fuient leur passé fantasmée que leur mère leur a construit. Ils ont besoin de vérité, loin des mensonges.

Huong et ses fils ont chacun un vécu différent de l'exil. Avec les années, leurs vies les emmènent au Vietnam ou en France. A chaque fois, leur cœur les ramène à la Nouvelle-Orléans. N'est-ce pas dans cette ville aux quartiers typiques qu'ils se sont véritablement construits ?

"L'Amérique les avait rendus tellement méconnaissables, se disait-elle. Tous. Si Cuong était là, il ne reconnaîtrait aucun d'entre eux, pas même elle-même".

Or, l'eau n'est jamais loin, elle prend et rejette. tandis que Binh (Ben) est à Paris, Thuan et Huong s'apprêtent à affronter l'ouragan Katrina. Cet élément qui a autrefois sauver leur vie pourrait cette fois-ci sceller leur destin à jamais.

La Solitude des tempêtes aurait pu être un énième roman sur l'exil, les boat people et le Vietnam communiste. Il est tout autre. C'est un roman sur l'intégration, les racines et le sens du mot famille. Le lecteur suit les trois personnages sur deux décennies. L'auteur a choisi d'alterner les points de vue afin de mieux marquer les nuances de sens que chacun met sur le mot exil en fonction de son âge et son vécu.

On ne sombre jamais dans le pathos, on avance agréablement, on tourne les pages agréablement tout en tissant un lien intime avec ce qui s'y joue.

Ed. Albin Michel, collection Terres d'Amérique, mai 2023, traduit de l'anglais (USA) par Clément Baude, 384 pages, 22.90€.