Hickney et Jimmy sont amis depuis l'adolescence. C'est l'accident stupide de Jimmy surla voie ferrée, un soir de beuverie, qui a scellé leur complicité. Il en a perdu ses jambes et depuis Hickney culpabilise.
Ces deux-là n'ont jamais quitté le Montana et leur ville de jeunesse. Tandis que l'estropié écume les bars jusqu'à en devenir soûl, l'autre ramasse les bêtes écrasées pour le compte de la ville et rêve de fonder une famille dans une petite maison à l'abandon en vente depuis longtemps. C'est ça qui tient Hickney : la possibilité un jour - pourquoi pas - d'enfin pouvoir vivre aux côtés de la sœur de Jimmy, Anna, et ses jumelles, au 101 fifht Street. Or, pour réaliser son rêve Hickney a besoin de liquidés. C'est pourquoi lorsque un "étranger", Van Zyl, arrivé depuis peu à la tête d'une étrange fraternité, lui propose de racheter les dépouilles qu'il ramasse, le jeune homme accepte.
"Quand Van Zyl se leva, une demi-heure plus tard, et mit son chapeau devant le miroir avant de se diriger vers la porte, il serra chaleureusement la main de son hôte et s'en alla dans la grisaille de l'après-midi, sourire aux lèvres, comme si les mots qu'il laissait derrière lui, tourbillonnant dans la tête d'Hickney, n'étaient pas plus dérangeants que des feuilles soulevées par le vent".
Van Zyl est un mélange de prédicateur et de businessman. Ses paroles sont toujours empreintes de sous-entendus sur la possibilité d'une race supérieure et de la nécessité d'une nation armée. Cela fait longtemps qu'Hickney ne croit plus en rien car "à présent, même une centaine de rosaires ne suffirait pas à effacer son sentiment de culpabilité" envers Jimmy, "un innocent, un rêveur, un déchiffreur de nuages, et, une fois de plus, il ressentit comme un coup de poignard la douleur profonde et familière de l'échec". Il tient plus foi aux paroles de ses amis qui, comme lui, n'ont jamais quitter le comté, comme le vieux Pimperton qui l'avait pris un temps sous son aile et lui conseille de se tenir éloigner du drôle de groupe.
"Les gens appartiennent à un pays comme les animaux (...) Ces hommes, là, dans ce camp (...) Ils sont pas de ce pays. Ils sont pas à leur place ici".
Et puis, un jour, à la place d'un animal mort, Hickney découvre un cadavre. Ce sera le premier d'une série qui va le forcer à se rendre en réserve indienne demander de l'aide au plus grand trafiquant Black Feet Horne, le père des jumelles de Anna.
"Rien ne changea et tout changea (...) Il lui semblait que la ville et la campagne qu'il sillonnait demeuraient dans une ombre permanente, vidées de toute couleur, et que sa vie n'était qu'une fragile tour faite de branches et de torchis qui pouvait s'écrouler sous un simple souffle, un mot prononcé de travers".
Il se doit de protéger Jimmy et sa sœur mais aussi tous les autres car Van Zyl et ses hommes sont de plus en plus inquiétants et commencent à investir la ville.
"Il ramassa son fusil et son sac de vêtements, se tenant au centre de cette pièce qu'il ne reverrait plus jamais. On lui avait assuré qu'il y avait un Dieu et que nous étions Ses enfants, mais il se dit que si ce Dieu était sourd et aveugle, à quoi bon pouvait-Il bien servir pour qui que ce fût"?
En 2014, Kim Zupan nous avait gratifiés d'un premier roman crépusculaire et hypnotique, Les Arpenteurs (Gallmeister) avec, déjà, une amitié hors-norme, un peu comme celle qui unit Jimmy et Hickey.
Trop loin de Dieu nous offre des pages lyriques magnifiques, une pure merveille, un écrin de beauté dans un monde noir, trop noir. Parfois, on croit que l'horizon s'éclaircit pour les protagonistes ; hélas, cela ne dure que quelques pages. Les hommes sont mauvais, éloignés de Dieu diront certains, et ils aiment flirter avec le bord du précipice.
IL faut prendre le temps de lire ce roman pour ne pas le terminer trop vite. Kim Zupan est un auteur rare, un peu comme Donna Tartt chez les autrices, mais sa plume est d'or.