"Il y a en Sofia la graine de quelque chose d'explosif. Antonia cherche en elle-même sans trouver rien de semblable. Elle ne sait pas si elle en est soulagée ou non".
Antonia rêve de livres, d'études. Or quand elle perd son père lors d'un règlement de compte, elle se retrouve à gérer sa mère Lina dont la perte de son mari marque le début d'un long processus de glissement.
"Voilà comment Antonia vit la perte de son papa : la lumière qui la relie au reste du monde s'éteint soudainement. L'avenir est enveloppé d'obscurité".
A Red Hook, les mafieux incarnent le Tout et c'est pour cela que les deux amies se jurent de ne jamais dépendre d'un homme et encore moins d'un qui serait de près ou de loin associé à La Famille. Vœux pieux mais qui ne sera pas réalisé. Il y a comme du déterminisme social dans l'histoire de Naomi Krupitsky et une certaine dose de naïveté.
L'amitié à la vie à la mort connaît des hauts et des bas. L'adolescence puis la maternité sont autant d'écueils que les jeunes femmes réussissent à franchir finalement ensemble.
"Sofia et Antonia ressemblent soudain à deux femmes différentes plutôt qu'à deux filles interchangeables".
Même leurs propres compagnons passent après leur histoire. Le père de Sofia fut pendant longtemps le père par procuration d'Antonia. Maintenant chef de La Famille, il est difficile de quitter ceux qui lui ont permis d'être ce qu'elle est devenue.
Parfois le style, trop rond, favorise un romantisme un peu "nunuche". Trop de bons sentiments écornent le récit. Comme si l'autrice avait voulu envelopper la violence des pratiques mafieuses dans la douceur des émotions portés par les deux héroïnes.
" Elle se sentent emportées par la rivière de leur vie. Elles sont précipitées vers ce qui ressemble à une falaise, les yeux rivés sur une cascade dont n'émergent que les enfants, des robes pratiques, un ménage à conduire. Chacune livre des batailles silencieuses avec elle-même : ce qu'elles veulent; ce qui se passera quoi qu'elles veuillent".
Pourtant Sofia va vite être confrontée à un choix cornélien : faire de la violence un pan de sa vie de femme afin qu'elle puisse se faire respecter, accepter la douceur d'une amitié indéfectible et d'un amour pour un homme blessé par la vie.
"Mais Sofia se sent sombrer dans l'invisibilité. Elle a désespérément envie de prendre un autre chemin".
Antonia, elle, a un sentiment contradictoire : La Famille l'a brisée mais lui a aussi apportée beaucoup dont l'amour avec Paolo. C'est compliqué et elle se rend compte que tout quitter est de plus en plus difficile.
Malgré une prose souvent ronronnante, La Famille propose une histoire originale car elle traite de la Mafia du point de vue féminin. Les amoureux de Elena Ferrante avec L'Amie prodigieuse y trouveront sûrement des échos qui les plongeront dans un monde fictionnel familier.
Ed. Gallimard, collection Du Monde Entier, mars 2023, traduit de l'anglais (USA) par Jessica Shapiro, 400 pages, 24€