Susan est écrivaine, enfin c'est ce qu'elle tente de croire. Depuis qu'une de ses nouvelles a été publiée, elle s'est lancée dans l'écriture d'un roman que son agent lui a demandé. Sauf que son projet est parasité par sa relation avec son mari Bobby dont elle croit qu'elle n'est plus amoureuse. A plus de quarante ans, Susan est une femme remplie d'incertitudes. "Elle éprouvait une fois chez elle ce lent détachement de toutes choses, cette anomie, sorte de crochet noir qui la soulevait, puis la laissait en suspens, hors de portée de tout ce qu'elle croyait aimer. Cela avait commencé quand elle était très jeune, et elle s'y était presque habituée, comme à un angiome noirâtre qu'elle aurait eu au visage depuis sa naissance".
Pour faire le point, elle se réfugie en Floride chez sa grand-mère Loïs qui l'a élevée, femme forte et indépendante cependant aigrie par les aléas de la vie.
Les deux femmes ont traversé les années avec le poids d'une perte : Linda. Pour l'une, c'était une fille, pour l'autre une mère dont elle ne garde qu'un vague souvenir et la certitude d'une séparation violente. En effet, Linda a été victime d'un féminicide. L'auteur des faits, son époux Daniel, a fait quinze années de prison puis a été libéré sous contrôle judiciaire.
"Avant Linda il n'était jamais devenu fou. Il avait mauvais caractère et ne supportait pas la moindre provocation sans réagir, mais une fois sa colère retombée, il oubliait celui auquel il avait donné un coup de poing ou de pied pour le faire taire. Là était le problème".
L'intérêt de ce roman porte essentiellement sur le personnage de Daniel. Maintenant sexagénaire, il mène une vie paisible consacrée à aider les autres. En prison, il a compris son geste. La jalousie l'empoisonnait. Il appelait ce sentiment le serpent noir du soupçon. Il arrivait par vagues déferlantes, le taraudait continuellement, et un jour la digue s'est rompue. Il y a perdu son épouse adorée et sa fille dont il n'a plus jamais eu de nouvelles. Or Daniel est malade : ses jours sont comptés. Alors, il décide de parcourir les milliers de kilomètres qui le sépare de Susan pour tenter non pas de s'excuser ou de s'amender, mais de redevenir un père ne serait-ce qu'un instant. Seulement rien n'est simple car il a tué et a brisé une famille : il écrit à sa fille pour la prévenir de son arrivée.
"Son cœur semble tout plat dans sa poitrine, comme écrasé par le passé (...) Comme si le passé n'était pas du tout le passé, mais seulement des strates en nous, pas plus mortes et disparues qu'une vieille chanson entendue à la radio".
Alors que Susan s'échine à écrire et à s'offrir de l'espace malgré tout, elle se rend compte qu'elle est enceinte. Cela modifie ses perspectives. Elle qui a vécue avec l'absence d'une mère est-elle capable d'en devenir une ? Maintenant que Daniel va réapparaître, comment appréhender la réaction de Loïs qui a toujours gardé un pistolet chargé près d'elle ? Comment et surtout comment réagir face à cet homme qu'elle ne connaît pas finalement et qui a brisé une partie de sa vie ? Car n'est-elle pas au fond que "le rappel vivant d'un crime impardonnable" ?
Une si longue absence est un roman choral aux personnages riches et complexes qui gravitent autour d'un personnage central, anti héros par excellence, qui cherche le pardon avant de mourir. Le récit est construit comme une lente réparation. Du chaos initial, la famille - ce qui en reste - tente de se reconstruire avec la perte et les plaies béantes si difficiles à cicatriser. De cette lecture en sort l'idée principale finalement que la vie étant brève et souvent douloureuse, la seule chose à faire est de prendre soin les uns des autres. Pas aussi facile qu'il n'y paraît.
Ed. Actes Sud, mars 2023, traduit de l'anglais (USA) par France Camus Pichon, 448 pages, 24.80€
Titre original : Gone So Long