La communauté amérindienne qui vit dans le quartier défavorisé de North End, un quartier de Winnipeg, est avant tout un groupe de femmes fortes, souvent abandonnées par le père de leurs enfants, qui vit sous le poids des traditions familiales et un désir fort d'émancipation. Stella en est un exemple. Elle a été élevée par sa kookom - sa grand-mère- après qu'on ait retrouvé sa mère morte d'une overdose. Elle a fait des études, s'est mariée avec un blanc et s'est éloigné de son quartier sans pour autant se résoudre à s'en séparer au delà de deux arrêts de bus. Une nuit d'insomnie à force de se lever pour son dernier-né, elle est témoin d'une agression violente dans sa rue. Incapable de réagir, tétanisée par la peur, elle a quand même le réflexe d'appeler la police.
"Ces bribes d'histoires qui composent une vie. Une trame, elle songe à ce mot - comme quelque chose qui fabrique quelque chose d'autre. Trame. Tous ces petits riens, toutes ces incitations à la prudence, ces instructions quant à ce qu'il ne faut pas faire".
La famille de Stella est essentiellement composée de femmes. Les hommes ont fui pour vivre sur la réserve ou sont occupés à d'autres amours. Ce sont des femmes fortes qui veillent à ce que leurs enfants aient un avenir et ne soient pas tentés par une logique de gang qui gangrène leur quartier. Mais quand on est jeunes et amoureux, on se laisse parfois entraînés dans un guet apens aux conséquences tragiques. Et même si la police enquête, elles font bloc devant le mépris de race de certains d'entre eux, comme si le fait d'être d'origine amérindienne et femme ne font pas d'elles des citoyennes à part entière.
Les Femmes du North End est un puissant roman sur les femmes autochtones. Le sens de la famille et les traditions sont des remparts inébranlables contre l'adversité. Cheryl et ses filles Paulina et Lou vont protéger Emily.
"Les loups nous apprennent l'humilité - ils nous apprennent que nous sommes tous dans le même berceau, que nous faisons partie d'un grand tout. Si quelque chose arrive à l'un d'eux, la meute entière le ressent. Cheryl expire à fond, son souffle est chaud, puis elle inspire la douleur d'Emily et lui offre en échange toute la force dont elle dispose.
Elle déteste ces moments-là. Les moments particulièrement douloureux. Ceux qui semblent durer éternellement".
Stella, qui sombre dans une dépression post-partum comprend que son salut sera de se reposer chez sa kookom; Tommy, la seule voix masculine du roman, policier métis en charge de l'enquête sur l'agression, trouvera l'écoute auprès de sa mère indienne.
Néanmoins toutes n'ont pas cette chance de pouvoir compter sur le pilier familial. Le personnage de Phoenix est marquant car il montre comment une enfance ravagée détermine ce qu'on deviendra en grandissant.
Il y a un avant et un après. Le sentiment de vengeance n'existe pas chez ses femmes, le désir de justice oui, la capacité de résilience aussi.
Neuf femmes et un homme racontent leurs histoires, leurs espoirs et leurs échecs. Cependant, les personnages puisent leurs forces dans la famille et font face, car il est plus éprouvant de nier qui on est et d'où on vient.
"Et je me suis senti très différent. On m'a traité comme quelqu'un de différent. Si bien que je me suis senti davantage...indien. Mais Christie pense que je suis différent d'eux, il dit eux - les Autochtones. Pour lui, je ne suis pas un véritable Indien. Alors je suis quoi ? Dans l'entre-deux ? Je ne ressemble à personne"?
Ainsi, les cinquante dernières pages sont lumineuses, touchantes et terriblement vraies au point qu'on peut y puiser des similitudes sur nos propres rapports familiaux.
Encore une fois Terres d'Amérique a déniché une pépite nord américaine. Katherena Vermette est une autrice qui sait capter les enjeux sociétaux de son temps, engagée dans une cause littéraire qui fait écho à l'œuvre de Louise Erdrich.