Notre vie vaut-elle le coup d'être vécue si on ne rêve plus ? C'est en tout cas ce que pense Camille lorsqu'elle sort du commissariat où elle a déposé plainte pour disparition de ses rêves. Cette grosse dormeuse à l'univers nocturne très riche s'inquiète car cela fait deux jours pleins que ses nuits sont noires comme le néant.
"Les pires journées n'étaient qu'à moitié redoutables : face à leurs nombreux périls, il me suffisait de penser au refuge fidèle qui surgirait à la nuit tombée. Je pouvais m'amuser des trahisons ou des échecs, attendant simplement, presque sagement, ce qu'ils produiraient d'intervention dans le noir".
Journaliste de son état, Camille a l'habitude de flairer les scoops et là elle sent qu'il se passe quelque chose d'anormal, que son cas n'est pas isolé. Bertrand(e) son chef, lui confirme son soupçon et lui décroche un entretien avec le patron du très secret GRINAR (Groupe de Recherche Interdisciplinaire Nocturne et Aquatique sur les rêves), en Bretagne, au bord de l'Atlantique. Le laboratoire se cache à l'intérieur d'un vieux phare. Au fil de sa visite et ses échanges, Camille comprend que non seulement les rêves et l'eau sont intimement liés mais aussi que la disparition des rêves est une maladie qui se propage.
"Les rêves suivent. Leur mouvement est un écho à celui de l'océan : les vagues se prolongent dans les rêves".
Là, elle sauve Andrea, cas d'étude du GRINAR, qui semble mourir à petit feu de ne plus rêver. Commence alors une folle cavale qui emmènera Camille jusqu'en Turquie. Le Langsam Virus - c'est ainsi qu'on l'appelle - force les personnes atteintes à ralentir, à prendre le temps.
"Les symptômes affluent, variés. La plupart des malades ont la peau qui devient translucide mais surtout la plupart sont lents, très lents, presque à l'arrêt. Les Allemands ont titré sur ça : ils l'appellent le langsam Virus et parlent d'une maladie de la lenteur".
(...)
"On ne rêvait plus parce qu'on allait trop vite".
La mer semble être le seul remède. Vivre près de l'eau, prendre le temps, communier avec l'élément liquide sont autant de thérapies pour faire revenir les rêves.
"La mer constitue la possibilité des rêves, l'étendue à perte d'horizon. Et il nous arrive deux choses plutôt qu'une seule : non seulement la mer se détériore, mais les humains ont commencé à le savoir. La mer ne peut plus incarner l'inatteignable depuis qu'elle a elle-même été atteinte. En d'autres termes : là non plus, les hommes ne peuvent plus se réfugier. Or les homme sans refuge sont des hommes nus, sur le qui-vive perpétuel".
Ce roman fait écho à ma lecture des Veilleurs de Vincent Message (Seuil, 2009), dont l'histoire est basée sur la théorie du Grand Rêve, véritable monde à part pour les endormis. La référence s'arrête là car Marianne Rötig a voulu un récit au style plus léger pour proposer une réflexion intéressante sur notre rapport au monde de plus en plus connecté et qui tourne à cent à l'heure.
En partant du postulat d'Héraclite selon lequel "Il y a chez les éveillés un monde unique et commun, chaque endormi vit dans un monde particulier", le rêve devient le thème central de l'histoire, véritable enquête sur un phénomène naturel en voie de disparition. Camille en est l'enquêtrice.
La Disparition des rêves est un premier roman assez réussi. Ca et là, ont peut noter quelques ellipses narratives qui auraient méritées d'être développées, mais la narration tient la route et les personnages portent intelligemment leur quête jusqu'à la fin. Pour l'originalité de son sujet, ce livre mérite qu'on s'y attarde.
Ed. Gallimard, collection La Blanche, février 2023, 208 pages, 20€