Un couple, Kay et Cyril, infirmière et médecin, ont fait un drôle de pacte à leur cinquante ans : mourir ensemble l'année de leur quatre-vingts ans pour ne pas devenir des charges pour leurs enfants. Leurs motivations sont cependant différentes. Kay s'est occupée de son père atteint de la maladie d'Alzheimer jusqu'à sa mort et a vu sa mère vieillir et laisser la démence sénile s'installer. Cyril, en bon médecin, ne supporte plus les dépenses inconsidérées de la NHS (l'équivalent de notre sécurité sociale) pour accompagner les personnes âgées. Mieux vaut mourir avant de devenir aussi une charge pour l'état et pour leur descendance qui ne voient en eux qu'un héritage potentiel.
"Car, pour conserver la maîtrise de
sa fin de vie, il faut avoir la volonté de renoncer à une petite tranche d'une existence qui n'est pas encore pourrie. Sinon, c'est la dégringolade. Les médecins et la famille prennent le relais et on est bons pour perdre cette partie de nous-mêmes qui réfléchit et qui agit. La fenêtre de tir qui nous permet d'exercer encore la maîtrise de notre vie est étroite".
Seulement, cette décision a été prise un soir autour d'une bouteille de vin, et le sujet, pendant trente années, est devenu tabou, si ce n'est la boîte noire remplie de cachets, rangée en haut dans le frigo, rappelant surtout à Kay qu'elle a une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Le roman aurait pu être une nouvelle longue, se terminant par une fin larmoyante remplie de romantise avec la mort d'un vieux couple qui s'aime comme au premier jour. Sauf que Lionel Shriver utilise les possibilités infinies de la fiction pour proposer douze dénouements en reprenant à chaque fois un élément rencontré précédemment. Douze chapitres pour que le lecteur soupèse le pour et le contre des choix de Kay et Cyril. Un homme, une femme et douze possibilités d'en terminer, soit en décidant d'utiliser la boîte noire, soit en vieillissant, en laissant faire la nature, ou en y incluant un facteur extérieur comme la pandémie de Covid par exemple (ce qui nous vaut quelques pages hilarantes).
"On n'aura peut-être pas besoin de se servir de cette boîte noire dans le frigo , glissa Kay. Le jour de mon anniversaire, il suffira de sortir dans la rue et respirer à pleins poumons".
Par le biais de l'humour et de l'ironie, l'autrice offre une réflexion sur la fin de vie et la liberté pour chacun de choisir sa fin de vie. Elle n'omet pas d'y inclure les facteurs x à savoir l'évolution sociétale de la Grande-Bretagne ou les accidents. Le temps passe mais au crépuscule de la vie, chacun appréhende différemment le terminus.
"Déposer ces comprimés dans sa main ouverte avait été l'acte le plus altruiste le plus pur qu'il ait jamais accompli. Car, lorsqu'il imaginait le corps flasque de sa femme dans ses bras, il ne ressentait plus de la culpabilité mais de l'envie".
A prendre ou à laisser ne laisse pas le lecteur indifférent. Sa construction volontairement originale pour un roman qui pourrait faire penser aux livres dont vous êtes le héros de notre jeunesse évite les lourdeurs inhérentes au sujet traité. Lionel Shriver a beaucoup d'humour et de talent, et elle l'utilise une nouvelle fois à bon escient. Le verre est à moitié vide ou à moitié plein, à vous de voir.
Ed. Belfond, traduit de l'anglais (USA) par Catherine Gibert, janvier 2023, 288 pages, 22€