lundi 7 novembre 2022

Péchés et rédemption


"Crossroads n'était pas un groupe ostensiblement religieux - pas la moindre bible en vue, et des soirées entières passaient sans qu'on parle de Jésus (...) Il y avait cent vingt jeunes à Crossroads, et un seul chef admiré. Durant deux heures le dimanche soir, chaque membre pouvait espérer une minute de l'attention d'Ambrose".

Avec son allure nonchalante et sa figure de beau gosse, Ambrose a remplacé Russ à Crossroads le groupe des jeunes de l'église de la  First Reformed de New Prospect. Bon, c'est vrai que Russ était allé un peu loin dans la confidence auprès d'une des jeunes filles du groupe, mais, à ses yeux, rien ne justifiait qu'il devienne un paria.

De toute façon, c'est le bazar dans la vie du pasteur. Son couple avec Marion se disloque et à force de se tenir éloigné de ses quatre enfants il se rend compte qu'ils en sont devenus des étrangers.  Il n'a jamais su leur parler, ou simplement échanger, si bien que Perry, Becky, Clem et Jarrod se tiennent éloignés de leur père et donc de la religion.

Heureusement pour lui,  la belle Frances Cottrell est revenue en ville, fraîchement divorcée et motivée pour rendre service à l'église. Il va falloir la prendre sous son aile...

Russ Hildebrandt a une vision assez personnel de la foi. Selon lui, plus il souffrira, plus il se rapprochera de Dieu. Alors qu'il doit prêcher aux autres ce que doit être une bonne vie, il s'en éloigne au point que cela ressemble à du masochisme. Plus il se rapproche de Frances, plus son épouse perd pied.

 "Tout était en désordre et c'était merveilleux".

L'auteur gratte, fouille dans cette famille en apparence ordinaire, certes trop souvent fauchée mais unie et heureuse. Sauf que plusieurs crises couvent chez ces gens et notamment une crise de la foi. Le foyer familial éclate, tous étant trop investis dans leur cheminement personnel. Marion, "obsédée par le pêché et la rédemption" tente de retrouver un ancien amant connu avant Russ et n'en peut plus d'avoir "des tas de secrets,  (...) tous trop grands pour être révélés sans danger pour une femme de pasteur". Russ tente de séduire Frances tout en cultivant sa haine contre Ambrose.

"Ses griefs contre Ambrose étaient comme un cilice, comme du fil barbelé entouré autour de sa poitrine. Il souffrait, et en souffrant il se sentait proche de Dieu".

Et pendant que les parents se laissent envahir par leurs désirs, les enfants appellent à l'aide à leur façon. Clem veut s'engager au Vietnam, tandis que Becky et Perry, par pur esprit d'opposition s'inscrivent à Crossroads.

"[Becky] avait toujours détesté être fille de pasteur (...) Le sien était comme un fabricant de croix en pire. Sa foi ardente et sa nature sacrée étaient comme une odeur menaçant d'imprégner Becky".

Perry, "bourré de dons mais dénué de force d'esprit", s'enfonce dans la drogue au point de se prendre pour Dieu.

"La solution, c'était que lui, Perry, était Dieu. Cette prise de conscience l'avait effrayé, mais elle avait été suivie d'une deuxième : si un criminel, un toxicomane en classe de seconde à New Prospect Town Ship High School était Dieu, alors n'importe qui pouvait l'être".

Crossroads avance invariablement vers un désastre familial, mais la rédemption n'est pas loin.

"Presque tout dans la vie n'était que vanité : la réussite, les privilèges, l'Europe, la beauté. Lorsqu'on ôtait cette vanité et que l'on se tenait seul devant Dieu, que restait-il ?"

Selon Jonathan Franzen, tout est une question de point de vue, surtout dans les années 60-70. Crossroads pourrait grossièrement se résumer à une histoire de pêchés et de rédemption, mais forcément c'est beaucoup plus subtil que cela. La famille Hildebrandt vacille, ses piliers - le couple - remettent en cause leur foi et ce pourquoi ils ont choisi de vivre en fonction de leurs croyances. Finalement, contrairement à ce qu'on pourrait croire, la foi n'est pas aussi évidente chaque jour chez ceux qui la pratiquent et la présentent. L'amour, le désir, la société sont autant de sujets parasites qui font évoluer le rapport à la foi et à la relation à Dieu. Un véritable chemin de croix finalement.

Crossroads montre un Jonathan Franzen au sommet de son art. On tourne les quelques sept cents pages avec délectation. J'ai adoré.

 

Ed de L'Olivier, septembre 2022, traduit de l'anglais (USA) par Olivier Deparis, 704 pages, 26€