vendredi 21 octobre 2022

Histoire d'un homme perdu

Stephen King a de l'imagination à revendre, ce n'est pas nouveau. Chaque année, nous avons le droit à une voire deux nouveautés de qualités parfois inégales. Pour cela, j'ai un baromètre personnel : si au bout de cinquante pages je n'accroche pas, j'abandonne. Ainsi, quelques uns de ses romans me sont tombés des mains. 

Stephen King a, selon moi, une autre faiblesse : ses fins de roman. Je me souviens encore de celle de Dôme, très faible par rapport au contenu des deux tomes. Seulement voilà, si on commence à lire un King par la fin, pas sûre que ce soit pertinent...

Billy Summers m'a accrochée dès la première page car le héros éponyme (ou plutôt anti-héros mais ça c'est une autre histoire) pense à Thérèse Raquin d'Emile Zola comme "la vision cauchemardesque de Charles Dickens". Billy est un homme cultivé, le roman est truffé de références littéraires, culturelles ou cinématographiques, mais dans son travail, il se fait passer pour Bill l'Idiot, un mec efficace mais un peu demeuré.

Bill l'Idiot est "une ceinture de sécurité" aux yeux de ceux qui l'emploie. Car Billy Summers, depuis qu'il est vétéran de l'armée, est devenu tueur à gages. De tireur d'élite en Irak, il est devenu tireur d'élite pour le compte de méchants qui veulent liquider d'autres comme eux.

"Billy l'Idiot est peut-être une arnaque, mais ça, c'est la vérité : il ne s'occupe que des méchants. Ca lui permet de dormir la nuit. Il va sans dire qu'il gagne sa vie en travaillant pour la même catégorie de personnes mais il n'y voit aucune contradiction morale. Que des méchants le paient pour liquider d'autres méchants ne lui pose aucun problème. Il se voit comme un éboueur armé d'un flingue".

Dans "cet équilibre de la terreur", notre héros veut rester un homme bien selon se critères. Ainsi il ne tue que des crapules finies puis disparaît dans la nature dans l'attente d'un prochain contrat.

Quand Nick lui propose de tuer un certain Allen, il n'hésite pas longtemps, même s'il sent que le contrat est étrange. Non seulement la somme qu'il doit recevoir se compte en millions, mais en plus, il doit se fondre dans la ville quelques temps avant l'exécution, vivre dans un pavillon, se lier à ses voisins, faire semblant de travailler. Aux yeux des gens il est un écrivain en train de peaufiner le roman que son éditeur attend depuis longtemps. Pour tuer le temps, Billy se prend au jeu, écrit et au fil des pages se rend compte qu'il raconte sa jeunesse traumatique ainsi que ses services dans l'armée, surtout lors de la bataille de Falloujah en Irak.

Billy Summers l'avait pressenti : trop de monde impliqué dans la mise en place du complot n'est pas de bon augure, alors il décide de se construire un plan B jusqu'à une nuit où, devant chez lui, il sauve une jeune fille qui vient de se faire agressée par deux jeunes gens. Alice - c'est son nom - devient l'inconnue de l'équation Summers. Parce qu'il a des valeurs et se refuse de l'abandonner, il décide de la prendre sous son aile et de la protéger...

Forcément le contrat se passe comme prévu mais connaît un épilogue compliqué, alors Billy décide de se venger mais il n'est plus seul...

Stephen King a réussi son polar ; il a même réussi sa fin ! Ecrit en partie durant la pandémie (juin 2019- juillet 2020), il a travaillé le personnage de Billy Summers en lui construisant un passé, un présent et un avenir. Il est plus complexe qu'il veut bien laisser paraître. Billy Summers est aussi le portrait d'un homme bien mais aussi celui d'un homme perdu dans une société dans laquelle il n'arrive plus à s'identifier. Les années Trump en prennent pour leur grade et en filigrane, l'auteur ne se gêne pas pour dénoncer ce qu'était devenu à l'époque son pays.


Donc oui, Billy Summers est une réussite à placer en bonne place dans la liste des romans du maître.


Ed. Albin Michel, septembre 2022, traduit de l'anglais (USA) par Jean Esch, 560 pages, 24.90€

Titre original éponyme