jeudi 15 septembre 2022

Plonger dans le passé pour retrouver la lumière

 

Le narrateur, poète célèbre dans son pays, revient dans sa ville natale, Beira, pour assister à un colloque sur la littérature. Cela fait longtemps qu'il n'y est pas retourné, tellement cette ville lui rappelle sa jeunesse avec son lot de souffrances à une époque où les troupes coloniales et sa police spéciale, la PIDE, y faisaient régner la terreur. 

"Nous avons deux ombres. Une seule est visible. Il y a , malgré ça, ceux qui discutent avec leur deuxième ombre. Ce sont les poètes. Vous êtes l'un d'eux, l'un de ceux qui parlent avec les ombres". 

A son arrivée, il est accueilli par la séduisante Liana qui va le pousser à affronter son passé et savoir enfin ce que sont devenus ses proches disparus. En effet, dans ce "pays des incertitudes", la lutte pour l'indépendance a laissé des traces sanglantes. Le poète ne sait pas ce qu'est devenu son demi frère Sandro, et n'a pas revu son ami de jeunesse, domestique de la famille, Benedito. Et puis, son père Adriano avait beaucoup de secrets. Il écrivait lui aussi des vers pour oublier ...
"L'enfance est restée en lui comme un fruit qui ne se détache pas de l'arbre. Dans son cas, l'arbre est devenu l'arbre lui-même. (...) Et c'est pour cela qu'Adriano écrit des vers. C'est par peur. Mon fils a peur de regarder le grand vide de sa vie".
Liana lui transmet des documents d'époque qui vont l'aider à mieux comprendre ce qui s'est passé. Alors que la ville se barricade en attente de l'arrivée d'un ouragan, le narrateur se déplace à l'intérieur des terres, sur Inhaminga, terre de massacres de locaux par les troupes coloniales. C'est à cette endroit que Sandro a disparu sans laisser de trace.

"On appelle cela le stratagème de la montre. L'aiguille des secondes saute si souvent que personne ne remarque son mouvement. Ces noirs massacrés sont l'aiguille des secondes : personne ne les remarque, personne ne les comptabilise. Mais ce sont eux qui font le temps".

Affronter son passé personnel c'est aussi affronter le passé de son pays. Ainsi il se rend compte que son père et son frère étaient intimement liés avec des hauts gradés.

"En Afrique, il n'y a pas de distances, il n'y a que des profondeurs."

Aidé par Liana et son ami Benedito qu'il a enfin retrouvé, le poète entre de nouveau dans les heures sombres du Mozambique avec le racisme, la bêtise coloniale et les exactions nombreuses. C'est plonger dans la boue de l'Histoire pour enfin y retrouver la lumière...

Le cartographe des absences est écrit comme un long poème en prose tant Mia Couto y inscrit son sens du rythme et son amour de la langue. Le cheminement du narrateur est décrit comme une enquête prise par le temps, celui de l'annonce d'un ouragan, autre cataclysme qui vient secouer le pays. Ceux qui décidaient jadis sont devenus des ombres en proie au doute, tandis que les défunts ne restent pas impunément invisibles grâce à la fantasque Maniara.

Ce roman est aussi une fresque familiale. Le poète déterre les secrets paternels qui ont miné la vie de sa mère et de sa grand-mère. Il en a besoin lui aussi pour être enfin apaisé.

Mia Couto signe un très beau roman sur l'histoire de son pays, sans amertume, et avec beaucoup de poésie.

Ed. Métailié, collection Bibilothèque Portugaise, traduit du portugais (Mozambique) par Elizabeth Monteiro Rodriguez, août 2022, 352 pages, 22.80€

Titre original: O Mapeador de Ausências