Clara est coiffeuse dans le salon de Madame Habib situé dans une rue borgne d'une petite ville de Saône et Loire. Sa vie ce sont les anecdotes de sa patronne, les lamentations des clients, sa collègue Nolwenn qui n'arrive pas à avoir son permis et son petit ami, sosie de Flynn Rider dans Raiponce mais qui, après trois ans de vie commune, commence à avoir "des points de fragilité" aux yeux de la jeune femme.
Heureusement, parfois, des clients sortent du lot, tel Claudie, la conductrice de bus transgenre avec qui les conversations portent sur autre chose que le temps. Clara s'ennuie, c'est un fait. Elle le ressent confusément mais n'arrive pas à trouver la cause.
Et puis un jour, alors qu'elle est seule au salon, un inconnu vient se faire couper les cheveux. Il est gentil, discret et repart en oubliant son livre de poche. Clara le met de côté. C'est Du coté de chez Swann de Proust. Cela lui dit vaguement quelque chose mais rien de bien précis.
"Clara se sent mieux. Ce livre dans le tiroir c'est comme si l'homme était encore là".
Et puis, un week-end, esseulée, elle décide d'ouvrir le roman qu'elle a finalement ramené. Un nouveau monde s'ouvre à elle :
"Aujourd'hui, elle a commencé la lecture d'un livre écrit il y a plus de cent ans par un homme qui ne quittait pas son lit, un livre avec des phrases interminables et dont elle a le sentiment, pour une raison qui lui échappe encore, qu'il va la rendre plus forte".
C'est comme si elle avait rencontré un nouvel ami. Proust l'accompagne partout : au salon, dans le bus, chez elle. Clara plonge dans un univers nimbé de lenteur, aux phrases interminables et dans une société du début du vingtième siècle dont elle ne connaît rien.
"Et puis c'est une histoire édifiante. Ils ne sont pas nombreux ceux qui se réinventent. On prend généralement pour argent comptant la version de la réalité qu'on nous présente en premier".
Heureusement, elle va trouver en Claudie une alliée de poids qui va l'aider à prendre de la hauteur et apprécier toute la dimension de l'auteur.
"Le rythme qu'il impose est ce qu'elle apprécie le plus chez lui. Il oblige à une lenteur mais aussi à une vigilance, c'est très particulier. (...) Lenteur et vigilance, détente et concentration, Proust c'est son yoga".
Son Flynn Rider s'éloigne, mais peu importe Clara apprécie son nouveau célibat. Et puis elle n'est pas vraiment seule...
"Le temps passé à lire Proust, c'est du temps gagné, volé par l'intelligence et non à elle".
Clara lit Proust est un roman frais, pétillant, aux dialogues savoureux et aux chapitres courts qui font mouche. On sourit souvent et on apprécie de découvrir ou plonger à nouveau dans l'univers fascinant de Marcel Proust. Stéphane Carlier remet l'auteur réputé difficile à la mode et lui donne une nouvelle dimension : il devient celui qui permet à une jeune femme à priori peu littéraire de s'émanciper, de se cultiver et de choisir une nouvelle vie. Ainsi lire Proust rend plus fort et plus lucide. On se réinvente et Clara en est la preuve.
Ed. Gallimard, collection La Blanche septembre 2022, 192 pages, 18.50€