Pour "Digérer la réalité de [sa] négritude", le narrateur est devenu écrivain. Il sillonne son pays pour promouvoir son roman qui raconte... Il est bien incapable de le dire en fait, atteint depuis l'enfance d'un étrange mal qui l'empêche parfois de distinguer la réalité de certaines visions qui le submergent. D'ailleurs, depuis quelques temps, il voit régulièrement un petit garçon d'une dizaine d'années. Il est si noir qui le surnomme Charbon.
"La peau la plus noire que j'avais jamais vue. Comme un ciel de tempête maritime, couvert de nuages, au cœur de la nuit. Comme de vieilles grottes qui n'auraient jamais été visitées par le soleil".
"Cela faisait trois ans que sa mère et son père s'escrimaient à lui apprendre à devenir transparent, à devenir "l'Invisible". C'était le nom que son père lui donnait".
"Je me demande comment on peut grandir dans ce monde avec une peau comme la sienne. Comment on peut aller à l'école. L'enfer, sûrement. Un putain d'enfer de tous les jours".
"Ma mère est, plus ou moins, un mythe que je porte en moi. Elle existe seulement parce que je ne peux pas concevoir un monde où elle n'a pas existé".
(...)
"Comme ma mère, mon livre s'est réduit à un fantôme qui hante mon esprit". (...) L'écrire, c'était comme sculpter un morceau de moi-même".
Jason Mott utilise la frontière floue entre le fantasmé et le réel pour construire un roman contemporain et sociétal sur la condition de l'homme noir aux Etats-Unis. L'écriture met en forme la maïeutique entre l'enfant et l'écrivain pour exorciser les poncifs, les brimades et les violences subis par ceux qui ne sont pas "de la bonne couleur". Et comment vivre en paix dans son pays, quand on est noir ? Il faut devenir invisible aux yeux de ceux qui nous "chassent".
L'Enfant qui voulait disparaître est un roman puissant sur la société américaine et l'ampleur de ses contradictions. Elle interroge le lecteur sur la notion d'identité et rappelle que même au vingt-et-unième siècle, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour vivre dans une société égalitaire.
Ed autrement, janvier 2022, traduit de l'anglais (USA) par Jérôme Schmidt, 432 pages, 22.90€
Titre original : Hell Of a Book
National Book Award 2021