La Course au mouton sauvage est le quatrième roman de Murakami et sûrement le plus énigmatique. Il pose les fondements de l'univers littéraire de l'auteur tout en laissant le lecteur la possibilité de donner sa propre interprétation des événements.
"La vraie vie c'est d'être perpétuellement à la recherche de quelque chose".
Si on avait dit au narrateur qu'il se retrouverait sur l'île de Hokkaido dans une villa isolée au milieu de prairie à chercher en vain un mouton sauvage avec une tâche étoilée, il aurait cru à une plaisanterie de mauvais goût. Sauf que, par un enchaînements de petits événements, il se retrouve bel et bien dans cette situation.
Publicitaire de profession, il diffuse comme illustration en arrière plan d'une banale publicité pour une assurance-vie la photo d'un troupeau de moutons qu'il avait jadis reçu d'un ancien ami, Le Rat, qui s'était mis à lui écrire de façon énigmatique. Sans s'en rendre compte, parmi les moutons, il y en a un qui a attiré l'attention d'un homme en noir venu rendre visite au publiciste : celui dont la crinière compte une tâche noire en forme d'étoile.
L'anecdote aurait pu être drôle mais l'homme en noir n'est autre que le second du Maître, homme d'affaire puissant, affilié à l'extrême droite, qui vit alité depuis longtemps. Apparemment, ce mouton énigmatique a une importance fondamentale et doit être retrouvé, ou tout au moins l'auteur de la photo. Le narrateur n'a pas le choix, s'il veut retrouver sa petite vie routinière, il lui faut aller à la rencontre du Rat.
La Course au mouton sauvage est présentée comme une énigme à résoudre avec des péripéties et à la fin, une résolution (partielle). Ainsi le narrateur, accompagné de sa compagne du moment à la beauté irréelle, marche sur les pas de son ancien ami sans bien trop savoir ce qu'il cherche et ce qui l'attend. Il est constamment dans l'indétermination et se contente d'y rester, se laissant porter par les événements. Isolé, c'est à lui d'appréhender les informations récoltées.
"C'est seulement que je ne comprend pas encore très bien moi-même ce qui se passe. J'essaie de saisir les choses aussi justement que possible. je ne voudrais exagérer ni coller à la réalité plus qu'il ne faut. Mais ça prend du temps".
C'est ainsi qu'il fait la rencontre du Docteur ès moutons ainsi que celle de l'homme mouton. Le Rat n'est jamais bien loin, mais ne se montrera qu'à l'extrême fin du roman. Dès lors, c'est au lecteur de mettre dans l'ordre les pièces du puzzle et de catégoriser les péripéties comme étant iréelles ou non.
Ce roman est énigmatique à plus d'un titre. Il ouvre et referme des pistes, fait entrevoir des possibilités sans véritablement les creuser. Les paysages et les atmosphères participent activement aux clés de compréhension globale. L'histoire du moutonblanc est étroitement liée à celle de la population locale et de son environnement.
"Les fondations sont délicieusement instables" ; le réel et le fantastique s'entrechoquent parfois laissant au narrateur la possibilité de l'accepter, ou non.
C'est la troisième fois que je lis ce roman et j'emporte avec moi une nouvelle clé de compréhension.
A votre tour...
Ed. 10/18, mars 2021 (réédition poche), traduit du japonais par Patrick De Vos, 384 pages, 8,20€.
Titre original : Hitsuji o meguru bôken