mardi 7 juin 2022

Désordres

Effractions aborde les désordres tragiques de l'existence, lorsque l'imprévu frappe au carreau et balaye d'un seul coup l'ordre immuable de des choses. Les trois nouvelles, Effractions, Usurpation et Péremption, se font écho et appellent à une réflexion générale sur ce que nous sommes et ce que nous aurions pu être.

Effractions raconte comment Alice Watt, artiste contemporaine reconnue, va voir ses certitudes sur l'art et son œuvre basculer à cause d'un jeune braqueur à la manque "en faillite personnelle" venu se cacher sur son île privée où Alice se protège du genre humain qu'elle a renoncée à comprendre depuis bien longtemps.

"Un déchirement, oui, un arrachement au familier, aux habitudes, à la douceur. Une solitude terrible de bête qui ne vit que la nuit et laisse ses empreintes dans la boue ou juste la trace de ses griffes. Une façon de s'accoucher elle-même, persuadée de s'être engendrée toute seule. Une rupture réussie, si on veut, hantée par le fantôme d'un échec secret".

Usurpation est une histoire d'échange d'identité le temps d'un voyage en Tunisie entre un écrivain attendu à un festival littéraire et un archéologue au passé trouble.

Péremption explique comment choisir l'heure de sa mort en toute discrétion à travers l'existence d'une Mutuelle, la SAM (Suicide Assistance Mutuelle) dont l'unique fonction est d'envoyer un tueur à vos trousses au moment où vous aurez choisi, des années avant, le moment de passer de vie à trépas. 

"La Mutuelle ne tolérait aucune bavure, aucun manquement".

Seulement, les choses se compliquent quand, l'heure venue, vous vous rendez compte que finalement la vieillesse n'est plus vraiment un fardeau et que vous avez encore de beaux moments à vivre alors que vous étiez certain du contraire.

"[Le temps] se rétrécit, se ratatine. On sent la fulgurance de tout ce qui nous est arrivé. Et ce trou effroyable dans la vie, dans les choses et les êtres qu'on aime".

J'ai retrouvé dans ce recueil de nouvelles la densité que j'avais lue dans L'Oeil de la nuit en 2019 (Gallimard) mais aussi l'inventivité narrative que je retrouve à chaque fois que j'ouvre un de ses livres (et il y en a eu...)

Pierre Péju, c'est une écriture créative, qui n'hésite pas à remettre la condition de l'écrivain au centre de sa narration, parfois par des chemins détournés, parfois plus directement comme dans Usurpation.

Dans Effractions, la mort est une préoccupation constante, souvent libérée de tout affect, une issue inexorable qu'il s'agit d'aborder le plus sereinement possible, par le biais de l'art, de l'aventure ou de la fin programmée. Comme le titre l'indique, les trois textes racontent trois personnages en rupture, confrontés à des événements nouveaux qu'ils ne maîtrisent pas ou qui semblent impossibles.

"Certum est, quia impossibile !"


Ed. Gallimard, collection La Blanche, 205 pages, 21€