Louise Erdrich revient sur son thème de prédilection qui a fait sa notoriété et lui a valu d'être la voix des Indiens en littérature : raconter la nation indienne, ses espoirs et ses luttes dans une société américaine qui a tenté durant des décennies, de la taire.
Les indiens Chippewa ont toujours vécu dans le Dakota du Nord. Les "réserves" comme on les appellent leur permettent de vivre ensemble, plus ou moins protégés, mais sûrement pas assimilés à de véritables citoyens américains. Tout est compliqué : se soigner, prendre le train et obtenir un travail digne de ce nom. Ils ne sont pas Blancs et on le leur rappelle trop souvent. Alors quand l'usine de pierres d'horlogerie a recruté des autochtones, cela a permis a beaucoup de familles d'espérer un avenir un peu moins sombre.
Parmi eux, Thomas, le veilleur de nuit, et président du Conseil Tribal, passe ses nuits à écrire des lettres aux sénateurs et députés depuis qu'il a appris qu'une loi prochaine projetait d'émanciper les Indiens. Nous sommes en 1953 et la Termination (c'est son nom) vise à spolier les dernières terres indiennes à leurs propriétaires, jetant à la rue des familles démunies.
"Ils n'étaient pourtant pas des esclaves. L'idée, c'était de les libérer de leur statut d'Indiens. Les émanciper de leurs terres. Les libérer des traités que son père et son grand-père avaient signés, des traités censés durer toujours. Comme d'habitude, on cherchait à se débarrasser d'eux pour résoudre le problème indien".
Thomas décide d'écrire pour lutter, pour faire comprendre à ceux qui font les lois qu'ils ont aussi des droits et sont aussi des êtres humains à part entière, même si là-haut ils veulent terminer le travail entrepris jadis par le prophète Mormon Jospeh Smith.
Patrice alias Pixie, la nièce de Thomas, lutte elle aussi. Elle travaille dans la même usine que son oncle, mais le jour. Contrairement à ses amies, fonder une famille n'est pas sa priorité. Elle rêve d'émancipation et de liberté. Mais, pour l'instant, elle a surtout "la sensation d'être le seul rempart entra sa famille et la catastrophe" veillant à protéger les siens de son père alcoolique violent et cherchant à rejoindre Minneapolis pour récupérer sa sœur Véra partie là-bas avec son amoureux et dont la famille n'a plus du tout de nouvelles...
Alors Louise Erdrich alterne les chapitres, mettant en parallèle les deux combats. Ils ont tant de points communs ! tous les deux parlent de liberté, de famille, de traditions et de choix qu'on assume, de vie qu'on refuse de subir. Thomas et Patrice sont de générations différentes mais ils incarnent ce qu'on pourrait appeler péjorativement d'indien moderne, battant en brèche les poncifs sur leur Nation.
Ils sont soutenus par les fantômes de leurs proches trop tôt disparus, tel Roderick le frère de Thomas, et leur croyance aux vertus de la nature humaine.
Thomas est celui qui veille la nuit pour éviter que l'usine de pierres d'horlogerie soit la proie des voleurs ou des flammes, mais il est aussi celui qui veille à la protection des droits des indiens.
Louise Erdrich a largement puisé dans son histoire familiale maternelle pour écrire ce nouveau roman, couronné du Prix Pulitzer 2021. C'est une conteuse hors pair, voix de la littérature amérindienne et précieuse pour rappeler l'histoire parsemée d'embûches de son peuple.
Ed. Albin Michel, janvier 2021, traduit de l'anglais (USA) par Sarah Gurcel, 560 pages, 24€
Titre original : The Night watchman