vendredi 25 février 2022

Effacement

 


Jadis, des enfants occupaient l'école maternelle dans laquelle vit la narratrice désormais.

Jadis, l'auditorium était le lieu où les parents assistaient au spectacle du Navet géant joué par leurs enfants. Désormais, il est un lieu de mémoire où s'accumulent des petites boîtes.
Jadis, la maternité trônait fièrement au centre de la ville. Elle n'existe plus, détruite car inutile.

La narratrice, sa cousine, Mr Baryton ou le dentiste sont autant de personnages garants du souvenir des enfants. Ces derniers sont morts et la ville abrite désormais des adultes vivants dans le souvenir de leur progéniture.
Parfois, ont lieu d'étranges concerts de "soi à soi". Les musiciens ont construit des mini instruments à partir d'un élément de leur enfant disparu  - un cheveu, un os de pied - et les accrochent à leur lobe d'oreille. Avec le vent, un murmure audible que par eux seuls se lève et une douce mélodie se fait entendre.
"Seul le musicien pouvait entendre son instrument. C'était la règle la plus importante des concerts de soi à soi. Mais pour moi, cela ne changeait rien".
Dans le monde de la narratrice tout se rétrécit, irrémédiablement. Même la prose de la compagne de Mr Baryton qu'elle est chargée de traduire devient si petite qu'elle en est presque illisible. 
"Mais ce qui me préoccupe le plus n'est pas tant de ne plus réussir à déchiffrer les caractères qui ne cessent de s'amenuiser que l'intuition que bientôt je ne pourrai plus revenir des ténèbres des lettres".
Elle est la gardienne d'un monde perdu que les adultes refusent d'oublier.
"Ici, autrefois, c'était le paradis des enfants. Ils sont le symbole de ce qui est petit. Vous en êtes la gardienne".

Grâce à l'auditorium, les parents, symboliquement, continuent de voir grandir leur progéniture. Chaque boite stockée correspond à un enfant disparu. On y dépose des objets  censés représenter ce que l'enfant aurait dû devenir.

"Les enfants morts continuent à grandir dans le petit jardin intérieur de la boîte"

(...) 

"- la vie est trop courte...

- les livres survivent, eux.

- Comme cette boîte".

Tout le monde a développé sa propre stratégie pour lutter contre le vide écrasant qui les accable et les ténèbres qui gagnent inexorablement la ville. Utiliser les structures pour les petits, repasser des cassettes vidéo avec des enfants, parcourir les chemins empruntés par eux sont autant de postures contre le silence. Et les concerts de soi à soi ajoutent du son pour les plus chanceux. Ainsi, la narratrice dort dans un petit lit de dortoir.

"Il est assez grand pour me contenir sans peine. Cela ne me demande aucun effort particulier ni ne me cause aucune douleur. J'ai même le sentiment que cette boîte a été conçue pour moi".

Dans ce roman étrange et hautement symbolique, Yôko Ogawa n'explique jamais pourquoi les enfants sont morts. La cause est secondaire. Elle s'intéresse davantage aux conséquences et aux adaptations.

"Dans sa vie qui allait en se réduisant, soustraire était plus important qu'ajouter".

Petites boîtes est le récit d'une lutte contre le temps et l'oubli. La cour de maternelle se transforme en forêt, le centre ville se vide de ses habitants, les cassettes vidéo perdent de leur qualité à force d'être visionnées. C'est un roman envoûtant qui interroge sur l'absence d'un être cher et grâce à la prose délicate toute en ellipse et implicite de l'autrice, on lit par moment des pages d'une grande beauté.

Ed. Actes Sud, février 2022, traduit du japonais par Sophie Refle, 208 pages, 21€

Titre original : Kobako