Ils sont trois frère et sœur au chevet de leur mère mourante. Ils savent très bien qu'elle est arrivée au bout de chemin mais par égoïsme - par altruisme croient-ils - ils demandent aux médecins de faire tout ce qu'ils peuvent pour la maintenir en vie, allant à l'encontre de ses dernières volontés.
"Francie continue à mourir. Mais elle n'est jamais morte"
"Terzo était déterminé à sauver leur mère de ses propres désirs. Puisqu'il était évident qu'elle souhaitait mourir il exigea qu'ils fassent tout pour qu'elle vive".
"Un monde qui brûlait et rien pour le ressusciter. Il était possible de ne rien ressentir il était nécessaire de ne rien ressentir, les sites d'informations et les réseaux sociaux ne vous faisaient absolument rien ressentir : elle ne pouvait rien faire et ne ferait rien. Très bien. Rien, à part maintenir sa mère en vie alors que tout mourait. Elle tirerait la chasse d'eau elle regarderait le monde mourir laisserait sa mère vivre rien rien rien".
"Ce n'était pas un cancer, pour commencer. Et par ailleurs, après avoir subi une série de disparitions, Anna ne les voyait plus avec horreur ni avec crainte, mais avec un intérêt passionné, presque du détachement.
La seule surprise pour elle était de si peu s'émouvoir de son peu d'émotion".
"De l'index elle fit le tour de sa poitrine. Elle sentit son sein gauche et à côté ... et à côté...rien. En haut, en bas, de long en large une rapide palpation affolée. Rien"!
"Car n'importe quoi valait mieux que la mort, et vaincre la mort était au fond tout l'enjeu - l'unique enjeu".
Tommy est le témoin impuissant mais il reste celui qui veille, celui que les aléas de la vie n'ont pas changé. Lui non plus ne voit pas les transformations qui s'opèrent sur le corps d'Anna. cette dernière se convainc désormais qu'il s'agit d'une hallucination de son esprit, même si cet étrange phénomène s'attaque désormais à son propre fils.
"Dans le miroir de la salle de bains elle reconnut à peine cette silhouette nue et légèrement voûtée, cette femme triste et fripée à qui il manquait un doigt, un genou, un sein et une main. Ce serait tragique songea-t-elle si ce n'était pas aussi comique".
La véritable tragédie, ce n'est pas de s'effacer mais c'est de vouloir à tout pris garder sa mère en vie contre sa volonté.
Dans la mère vivante des rêves éveillés pose les bonnes questions et propose une approche fictionnelle très originale. L'effacement est un moyen pour expliquer la complexité des sentiments ressentis par Anna. "Ce qui disparaît ce n'est seulement pas elle mais toi" lui dit judicieusement sa compagne Meg.
Au fur et à mesure, le récit devient plus étouffant. Les images d'incendie, la souffrance humaine face aux catastrophes naturelles, et cette chambre d'hôpital où une vieille dame n'en finit plus de mourir. Pour fuir ce huis clos, il faut rejoindre le bord de l'océan, se donner une raison de fuir cette vie hallucinatoire. Or comment encore exister quand on disparaît peu à peu ?
Richard Flanagan offre un roman très intéressant à la réflexion profonde sur les maux de notre époque. A force de se contenter de l'image et de l'immédiat, nous devenons tous transparents.
Ed. Actes Sud, traduit de l'anglais (Australie) Par France-Camus Pichon, février 2022, 288 pages, 22.50€
Titre original : The Living sea of waking dreams