vendredi 21 janvier 2022

Ligne de crête

"Natalie Waite, qui avait dix-sept ans à présent mais qui éprouvait le sentiment que la conscience lui était venue à quinze, vivait dans un monde étrange, peuplé de bruits et de visions, hermétique aux voix quotidiennes de son père et de sa mère ainsi qu'à leurs actions incompréhensibles".

Natalie a fait ce qu'elle a pu pour se protéger d'une famille dysfonctionnelle entre un père qui n'a de cesse de se glorifier en tant qu'écrivain alors qu'il est médiocre, et de sa mère qui tente de la prévenir de la méchanceté des hommes en général et de la perversité de son père en particulier.

"Elle avait vécu complètement seule avec elle-même".

Alors Natalie s'est forgé une intense vie intérieure où des personnages imaginaires ne cessent d'intervenir et de lui demander des comptes sur son comportement. Elle a bien un carnet secret où elle écrit des textes que son père jugerait inconvenants mais ils ne suffisent pas à la protéger de l'extérieur.

Pourtant, Natalie va devoir se confronter à l'inconnu. Elle rentre à la faculté et va devenir indépendante, vivant dans une résidence au milieu d'autres jeunes filles qu'elle ne connaît pas. Au départ, elle voit ce changement comme une opportunité car elle s'éloigne du foyer familial et va enfin avoir son chez soi même s'il se résume à une seule pièce. Au fil du temps pourtant, croiser des visages indifférents, se confronter aux autres va lui devenir insupportable.

"C'est vraiment un instinct, pensa Natalie, de parvenir à entrer en relation avec des gens irrationnels ; j'imagine qu'un esprit comme le mien, qui est si tenté par l'irrationnel et qui en est si proche, en fait, est capable de franchir aisément la frontière entre le rationnel et l'irrationnel et de communiquer avec quelqu'un qui est ivre, ou fou, ou endormi".

Sa rencontre avec Elizabeth Langdon, l'épouse délaissée d'un de ses professeurs, va lui apporter pendant un temps la béquille dont elle a besoin pour avancer. Natalie réussit a supporter les lettres pontifiantes de son père qui aimerait tant se faire un nom au sein de la faculté de sa fille, et plus important, elle conquiert - croit-elle - le respect de ses voisines de résidence. Seulement, au fil du temps, Elizabeth est beaucoup plus fragile qu'elle en a l'air et Natalie commence à ne plus différencier réel et imaginaire.

Natalie s'éloigne de "la logique de toute sa vie" : "impuissante au milieu des gens qui la détestaient et le lui montraient en la maintenant entravée jusqu'à ce qu'ils choisissent de la relâcher". Accompagnée de son amie Tony, elle décide de s'enfuir. Mais Tony existe-t-elle ou est-elle l'amie imaginée dont elle tant besoin pour rompre avec sa solitude ?


Hangsaman distille le suspens au compte goutte. Dans ce roman noir, Natalie est un personnage fragile qui sombre dans un sable mouvant. Tous ceux qui l'entourent sont ses bourreaux potentiels (d'où le titre) et ne lui tendent aucune main salvatrice, au point qu'on se demande finalement si le texte n'est pas le récit psychotique d'une fille perdue.


Ed.Rivages, collection Noir, octobre 2021, traduit de l'anglais (USA) par Fabienne Duvigneau, 288 pages, 22€