mercredi 1 septembre 2021

Fierté indienne


Rentrée littéraire 2021.

Sebastian Barry reprend les personnages et le contexte historique Des Jours sans fin pour écrire un nouveau roman qui, sans être la suite du premier, s'inscrit dans la même veine littéraire. Une vraie réussite !

"Ma pupille, mon ange, le résultat d'un instinct  étrange et profondément enfoui qui a réussit à dérober un peu d'amour à l'injustice". (Des jours sans fin)

La pupille de John Cole, héros avec son compagnon Thomas McNulty Des Jours sans fin, a bien grandi. Winona est désormais une jeune femme superbe, qui porte sa peau sombre d'indienne Lakota comme un étendard, dans une ville et une région qui n'ont pas encore cicatrisé les plaies de la guerre de Sécession.

"Ma blessure c'était d'être une enfant perdue. Et l'histoire, c'était que Thomas McNulty et John Cole m'avaient guérie. Ils avaient fait de leur mieux, je crois. Ils avaient tous les deux causé ma blessure puis ils l'avaient guérie, ce qui n'est pas une chose simple, quand on y pense".

A Paris, Tenessee, les esclaves sont certes affranchis, mais on n'aime pas les "nègres", tout comme on n'aime pas les Indiens qui sont encore moins considérés que les anciens esclaves. Alors, les pères adoptifs ont construit un foyer dans la ferme de Lige Magan et tentent de se faire agriculteurs, aidés de Tennyson Bouguereau et de sa sœur Rosalee, anciens esclaves. Ensemble, ils se tiennent à l'écart des violences de la ville et des mauvaises gens qui montent des milices et tentent d'imposer leur vision de l'ordre.

"Nous accordons tous une grande valeur à la vie. Mais les Blancs avaient leur propre échelle de valeurs. Comme nous n'étions rien, nous tuer, c'était tuer rien, donc ça ne signifiait rien. Ca n'était pas un crime de tuer un Indien parce qu'un Indien, ça n'était rien".

Quand Jas Jonski a tenté de séduire Wynona, cette dernière s'est d'abord laissée amadouer. C'est la première fois qu'un homme en dehors de sa famille la considère comme un être humain. Seulement, un soir, elle rentre en sang, hébétée et amnésique. Elle a subi des violences sexuelles. Pour John et Thomas, il est évident d'intervenir, car la loi ne fera rien pour leur fille puisque les indiens n'existent pas aux yeux de la loi. Or, Jas Jonski ne veut rien reconnaître, puis plus tard, avec sa bande, ils s'en prennent à Tennyson, le maltraitant tellement que le jeune homme en devient muet.

C'en est trop. Forte des valeurs lakotas et du passé de sa défunte mère guerrière, Wynona décide de prendre les choses en main et découvrir la vérité sur son agression et celle de Tennyson. Car, contrairement à ceux qui se permettent de juger et d'imposer leurs lois, Wynona a des règles dont la tolérance et le respect font partie.

 "Des âmes bonnes qui attendaient la lueur d'une aube qui ne surgirait jamais, mais des âmes néanmoins".

Des milliers de lunes n'est pas une suite Des Jours sans fin. Les héros du premier roman deviennent des personnages secondaires, mais leur influence reste intacte. C'est une histoire sur l'identité et la mémoire incarnées par le personnage de Wynona, fière de ses racines indiennes et prête à lutter pour exister dans un peuple de Blancs.

Sebastian Barry nous transporte sans difficulté dans l'Amérique après la guerre de Sécession et décrit avec virtuosité les rapports complexes entre les différentes communautés toutes meurtries par la guerre civile. Sa plume est fluide ; il est la voix de la narratrice Wynona, héritage à la fois de ce passé douloureux et incarnation d'une nouvelle Amérique possible.


 Ed. Joelle Losfeld, août 2021, traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux, 240 pages, 21€