Rentrée littéraire 2021.
Dans ce premier roman très prometteur, Kate Reed Petty promène son lecteur entre vérité et fiction pour mieux détricoter la naissance, le développement et les conséquences d'une rumeur.
"Nous racontâmes la même histoire, encore et encore et encore. Plus nous parlions, plus ça devenait vrai. Et bientôt, tout le monde connaît aussi la vérité. Avant même que les flics ne lâchent l'affaire, tout le monde avait entendu dire que la fille était bipolaire, et tout le monde savait que c'était pour ça qu'elle prenait tous ces cachets. C'était vraiment très triste, nous en convenions tous".
C'est toujours la même histoire ; la rumeur enfle et balaye au passage la vérité et tous les soupçons sur la véracité de ce qui se dit. Au fil du temps, elle devient la véritable histoire. Ceci est d'autant plus pratique quand la victime est amnésique et que les supposés agresseurs sont des lycéens, sportifs, promis à un bel avenir universitaire. Et puis, si la victime, à force d'entendre ce qui a pu lui arriver fait une tentative de suicide, eh bien ce n'est que la goutte d'eau de trop dans une vie déjà bien abîmée...
Si on devait résumer la vie d'Alice Lovett on pourrait utiliser le verbe fuir. Fuir d'abord une rumeur qui la dépasse, puis fuir ensuite un amant qui la séquestre. Ensuite, si on devait choisir un second mot pour la caractériser, on choisirait le vide.
"Le plus dur dans tout cela, c'est que je ne sais pas vraiment ce qui s'est produit. Dès lors, comment puis-je m'expliquer ? J'étais inconsciente lorsque ça a eu lieu".
Depuis ce soir où deux adolescents l'ont ramenée chez elle inconsciente, un sentiment de vide s'est emparée d'elle. L'absence de souvenir a creusé un trou béant qu'elle n'arrive pas à combler. Malgré un talent certain pour l'écriture, Alice n'arrive toujours pas à le dompter.
Vengeance ou pardon ? C'est le dilemme que se posent les victimes dans son cas. Les années ont passé. Il n'y a que Haley, son amie de lycée, qui l'empêche d'oublier toute cette histoire, comme si elle voulait se l'approprier, en faire un noyau dur pour un futur film ou documentaire, vu qu'elle est scénariste. Alors Alice décide d'affronter son passé et rassemble tout ce qu'elle peut pour trouver la vérité. Après tout, c'est son histoire Ca tombe bien, les protagonistes d'hier vont resurgir dans sa vie...
"J'ai utilisé des mails et d'autres documents trouvés pour ancrer cette histoire dans la réalité (...) qui montrent que mes souvenirs, bien que rares, sont réels".
Les faux-semblants ont la vie dure et même si maintenant tout le monde convient que la vérité n'a pas été dite sur le viol ou non d'Alice par Richard et Max, chacun a été impacté par la rumeur. Selon Stephen King,"Les monstres existent. Les fantômes aussi. Ils vivent à l'intérieur de nous...et il arrive que ce soient eux qui gagnent". True Story vérifie cette phrase. "Ce livre est un exorcisme" littéraire. Les témoins indirects de l'affaire, les diffuseurs de la rumeur portent encore les stigmates de cette triste affaire.
True Story utilise tous les ressorts littéraires pour construire le récit : mails, extraits de scénarios, brouillons de lettres de motivation pour l'université, choralité pour diversifier les points de vue. Ce qui en fait un roman très abouti pour une première œuvre. On y trouve la même virtuosité littéraire que Marisha Pessl, c'est dire !
Ed. Gallmeister, août 2021, traduit de l'anglais (USA) par Jacques Mailhos, 450 pages, 24.60€ / Titre éponyme