Le saviez-vous ? Dave Eggers prépare une suite au Cercle qui, dans un premier temps, ne sera surtout pas commercialisé sur Amazon. The Every imagine la fusion entre le Cercle et le plus important site de vente sur Internet. Ainsi, ce seront les librairies indépendantes qui auront l'exclusivité de sa vente, et ce pendant 6 semaines. Ensuite, le roman sera disponible en ligne.
"L'entreprise n'existait que depuis six ans, mais le nom et le logo - un cercle enserrant une sorte de mosaïque au centre de laquelle figurait un petit "c" - faisait déjà partie des plus célèbres au monde. Plus de dix mille employés travaillaient, ici, au siège, mais le groupe possédait des bureaux dans le monde entier, et embauchait chaque semaine des centaines de jeunes gens brillants".
Mae est fière. Elle vient de quitter un emploi insipide et sans avenir pour rejoindre l'entreprise qui, depuis quatre années consécutives, a été élue "Société la plus admirée de la planète". C'est à son amie de faculté, Annie, qu'elle doit sa nouvelle place. "Annie, c'est le cœur et l'âme de cet endroit, donc on a beaucoup de chance de t'avoir parmi nous", n'hésite pas à lui dire son formateur. Mae est prête a passer sa journée devant un écran à l'expérience client pourvu qu'elle s'intègre le plus vite possible à la Communauté du Cercle.
"Qui d'autres que des utopistes pouvait créer une utopie"? N'hésite-t-on pas à lui répéter quotidiennement. Car le Cercle est une Utopie en marche selon ses trois jeunes créateurs et les quarante Sages chargés de veiller à son bon fonctionnement. Au début, il n'était pas simple pour Mae de penser communauté, puis après s'être inscrite au réseau social de l'entreprise, elle a vite intégré les règles internes : se dévoiler, intervenir, participer. Au fil du temps, elle ne travaille plus devant un mais quatre écrans...
"Mae comprit qu'elle ne voulait plus jamais travailler - ni même se trouvait - ailleurs qu'ici. Sa ville natale, le reste de la Californie, voire le reste de l'Amérique lui faisait l'effet d'un chaos absolu".
La jeune femme s'éloigne inexorablement de sa famille et de son ex, très sceptiques à rendre transparent leur vie privée. Mae chemine à l'inverse. Après un épisode malheureux où elle a omis de raconter son emprunt d'un kayak un soir de blues, elle a accepté de porter en permanence une caméra, rendant sa vie complètement transparente et acceptant d'emblée le nouveau slogan du Cercle qu'elle a elle-même inventé sans le vouloir.
"Les secrets sont des mensonges
Partager, c'est aimer
Garder pour soi, c'est voler".
Mais les règles du Cercle deviennent nationales puis mondiales lorsque les femmes et les hommes politiques, au nom de la transparence absolue, décident de porter eux-aussi une caméra. Dès lors, toute tentative de vie privée est mal venue. N'est-on pas en droit de savoir à toute heure ce qui se passe chez l'autre ?
"Le cercle est la forme la plus solide de l'univers. Rien ne peut le défaire, rien ne peut l'égaler, rien ne peut être plus parfait. Et ce que nous voulons : être parfaits. Toute information qui nous échappe, tout ce qui est inaccessible nous empêche de l'être".
Comme le requin qui dévore sa proie, Le Cercle dévore toute tentative de liberté cachée. La complétude est proche, et avec elle, la mise en place du premier monopole tyrannique au monde boostée par le nouveau logiciel TruYou. Désormais, une nouvelle humanité se dessine ; deux camps marqués par le schisme de la transparence.
"La Complétude était imminente, et avec elle viendrait la paix, et l'unité ; tout ce désordre que connaissait l'humanité jusqu'à maintenant, toutes les incertitudes qui caractérisaient le monde avant l'existence du Cercle ne seraient plus qu'un souvenir".
Mae accepte tout ; elle privilégie les amitiés virtuelles aux relations familiales. Elle est prête à tout pour devenir un exemple de l'entreprise.
En première lecture, Le Cercle est un roman dystopique, cependant, en y réfléchissant bien, Dave Eggers a surtout écrit un roman d'actualité, forçant à peine l'exagération pour dénoncer ce qui est en marche actuellement avec les réseaux sociaux.
Alors Eggers est-il un oiseau de mauvais augure ou un homme lucide ? Force est de constater que nous sommes dans l'ère de "l'homo communicans" qui privilégie le superficiel à la profondeur. Et c'est bien cela le problème qui est posé : nous marchons sur une ligne de crête où à tout moment une démocratie directe de tous les instants peut devenir une forme de totalitarisme participatif.
Le Cercle interroge et fait réfléchir. Inquiétant.
Ed. Gallimard, collection Folio, traduit de l'anglais (USA) par Emmanuelle et Philippe Aronson, juin 2017, 576 pages, 8.76€