New-yorkaise de coeur, Gin alias Virginia, est revenue à Johannesburg pour l'anniversaire de sa mère. Mais ce jour-là, l'Afrique du Sud est en deuil : Nelson Mandela vient de mourir.
Celui qui a lu Mrs Dalloway de Virginia Woolf ne manquera pas de se rendre compte des nombreuses références - subtiles - à ce roman.
Déjà, l'héroïne, Virginia (Gin) doit son prénom à une tante adorée qui a décidé de terminer sa vie en se noyant. Gin, comme son aïeule, a décidé de résister aux carcans de sa condition de bourgeoise sud-africaine. Alors qu'elle avait vingt-deux ans, elle a préféré fuir les avances du jeune Peter qui plaisait énormément à sa famille pour s'installer à New-York afin de pouvoir vivre de son art. Depuis, les relations mère-fille se résument à des coups de fil, Gin préférant rester loin de son pays.
Or, sa mère Neve a quatre-vingt ans le 06 décembre 2013. Gin revient à Johannesburg pour y préparer une fête d'anniversaire. Ce retour est l'occasion pour elle de faire le point. A quarante ans, a-t-elle vraiment la vie qu'elle a voulu avoir ? N'a-t-elle pas de regrets ? Dans cette introspection qui court tout le long du roman, Fiona Melrose fait planer l'ombre de Clarissa, héroïne de Mrs Dalloway, dans le personnage de Virginia. D'ailleurs, le fait que Peter réapparaisse et provoque de nouvelles interrogations chez la jeune femme, ne fait qu'amplifier cette impression.
Gin a aussi des comptes à rendre avec sa mère. Cette dernière, très dure, n'a pas véritablement eu des élans d'affection pour sa fille depuis que cette dernière a décidé de partir pour les Etats-Unis. Elles ont toujours eu du mal à se parler. L'amour des belles fleurs est leur seul point commun. Si Gin réussit l'organisation de la fête, elle pense que Neve sera bonne avec elle.
"Elle avait essayé d'être une mère forte.(...) Et pourtant, malgré tout cet investissement, Gin avait largement dépassé les limites du raisonnable.
Elle appelait toutes les semaines, c'est vrai. En général le dimanche, et ce depuis des années. Leurs conversations étaient tellement inintéressantes".
Cependant, Johannesburg ne se centre pas uniquement sur Gin et Neve. L'anniversaire de cette dernière est marqué par un événement majeur de l'Histoire : le décès de Nelson Mandela. Fiona Melrose l'utilise pour dévier son récit sur les "petites gens" de Johannesburg : employés, domestiques et anciens mineurs. Ainsi, Mercy, la domestique de Neve est un personnage à part entière, tout comme sa collègue Dudu employée dans une autre maison, et qui, chaque jour, rend visite à son frère September, marginal bossu qui erre dans les rues une pancarte à la main, dénonçant les répressions violentes de la société minière où il était employé lors d'un mouvement de grève.
"Lorsqu'un homme n'a pas de toit, sa colère doit devenir sa maison".A force September, abîmé par la vie, perd la tête. Il fait penser - forcément - au personnage de Septimus dans Mrs Dalloway, qui va tant bouleverser Clarissa.
September est important. Il rappelle à la bourgeoisie rampante que la société sud-africaine a encore de gros progrès à faire en matière d'égalité et de prise en charge. Et la mort de Mandela, considéré comme le père tous, est un symbole. Chacun se sent affecté par cette perte.
L'altérité est le thème principal de Johannesburg. Gin se fait face, se redécouvre. Elle est à la fois la mondaine pétillante qui semble tout gérer et une femme extrêmement perturbée de l'intérieur quant il s'agit d'assumer ses démons. Encore une fois, elle ressemble beaucoup à la Clarissa de Virginia Woolf dans la façon de gérer sa crise existentielle.
Cette altérité s'applique aussi pour les autres personnages. Neve est partagée entre le désir de ne pas fêter son anniversaire et celui de faire bonne convenance, Mercy veut remplir son rôle de domestique mais aussi rendre hommage à Mandela dont le corps repose dans une maison au bout de la rue; September est partagé entre le vœu de dénoncer jusqu'au bout les violences de la société minière et celui de rentrer auprès des siens; enfin, Peter se sent toujours amoureux de Gin malgré les années tout en sachant qu'ils ont beaucoup changé.
Avec Johannesburg, Fiona Melrose a ainsi écrit un second roman subtil, à la fois bien ancré dans l’actualité sud-africaine - l'analyse sociétale de ce pays est pertinente - et un hommage en creux au roman le plus connu de Virgina Woolf sans pour autant en avoir aspiré la trame. C'est une belle réussite.
A lire aussi, Midwinter, le premier roman de l'auteure.
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Ed. Quai Voltaire, janvier 2020, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Cécile Arnaud, 320 pages, 23€
Titre éponyme