mercredi 22 janvier 2020

Allegheny River, Matthew Neill Null

Dans ce recueil de neuf nouvelles,  l'homme est en prise avec la nature, dans la lente bascule du temps...



Matthew Neill Null a une certitude : jamais ô grand jamais l'Homme n'est resté longtemps en adéquation avec la nature qui pourtant lui apporte tant de choses. Qu'ils soient chasseurs, scientifiques, colporteurs ou guides, ils ont, à un moment ou à un autre, transgressé le pacte naturel.

Les nouvelles racontent des histoires situées dans les Appalaches. La misère des habitants côtoie la splendeur naturelle des lieux. Les rivières sont une source de richesses : gagne-pain, pêche, frontière naturelle contre la maladie. Et pourtant, on n'hésite pas à dynamiter pour changer le chemin des cours d'eau et faire passer plus facilement les billes de bois ; on pêche les poissons à l'eau de javel, on ne respecte pas l'impétuosité de son débit... Il y a des morts qui viennent hanter le guide de rafting qui a voulu croire qu'il connaissait bien la rivière ou celui qui n'a rien fait pour sauver son collègue de la noyade ; il y a aussi des vies en sursis comme celle de la petite fille isolée sur une île en quarantaine et qui jette des bouteilles à l'eau pour se sentir vivante et aimée.


" John Drew n'avait plus d'amis. Il avait désormais cet endroit et cette fille - le nerf de ses jours, désormais arraché et disparu à jamais (...) Mais avec la rivière ce n'était pas pareil. Il était incapable de résister à son appel". (L'île au milieu de la Grande Rivière)

Quand on s'éloigne de l'élément liquide, les animaux sauvages restent des gardiens sûrs de la nature préservée. Honte à celui qui chasse la femelle ourse et s'en vante ou qui ose tirer sur une espèce de rapace protégée. Et alors, force est de constater qu'il est naturel de se demander qui est le plus terrifiant finalement : la nature ou l'homme qui en vient toujours à la saccager ?
"On appelait cela le safari du pauvre. Un jour, une femme arriva en voiture avec ses enfants. Elle désirait un instantané de son petit dernier avec un ours ; elle voulait que l'enfant puisse frôler le mystère (...). Elle prit le garçon, lui barbouilla la main de miel et le planta devant le véhicule afin que la bête puisse lécher cette gourmandise suave sur ses doigts. Son appareil photo était prêt. Deux ours accoururent en bondissant". (Ressources naturelles)

Allegheny River combine la violence des faits avec la poésie du style. Bruno Boudard propose un texte traduit d'une grande beauté qui raconte l'affrontement éternel entre l'être humain et la nature. Dès la première nouvelle l'auteur prévient : à force de ne pas tenir compte de ce qui nous entoure, nous pourrions être les prochains fossiles engoncés dans la pierre.
Très belle lecture.

Ed. Albin Michel, collection Terres d'Amérique, janvier 2020, traduit de l'anglais (USA) par Bruno Boudard, 288 pages, 21.9€