vendredi 22 mars 2019

REGARDS CROISES (36) Le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde

Pour ce rendez-vous des Regards Croisés, nous avons choisi chacune un roman du 19ème siècle. De mon côté, mon choix s'est porté sur une relecture d'Oscar Wilde.


Je ne vous ferai pas une analyse de ce texte - je m'en sens bien incapable- simplement je vous propose un partage en vrac de mes impressions.

Je me souviens avoir lu il y a bien longtemps cet unique roman de l'auteur irlandais, mais j'en garde un souvenir flou, pas aussi précis et lancinant que La Peau de Chagrin de Balzac.
Car à chaque fois qu'on me parle du personnage de Dorian Gray,  je pense à Raphaël de Valentin, allez savoir....
Aucun point commun donc, mais des rapprochements obscurs entre les deux héros et leur contexte.

Dorian Gray est l'incarnation de celui que j'aurais adoré détester si j'avais vécu au dix-neuvième siècle anglais et dans le même milieu social que lui. Riche sans effort, beau sans effort non plus, il cultive une nonchalance à faire pâlir le plus paresseux de nos lycéens contemporains !
Dorian Gray vit uniquement dans le paraître ; il est le Narcisse moderne très conscient de sa beauté et qui ne souffrirait sûrement pas qu'on puisse penser autrement. Bref il est beau et il le sait.

Avec un telle conscience de soi et de ses atouts, pas facile de rester humble et pur : les autres sont les jouets de ses caprices et ses amours sont des revirements constants. N'empêche il y a comme une brèche qui est en train de s'ouvrir dans ce portrait trop parfait.
Justement, c'est le portrait peint par un de ses amis qui le considère comme "l’avènement d'une nouvelle personnalité artistique" qui va subir et les foudres du temps et les foudres de ses vices. Tandis que Dorian Gray ne ressentira pas pendant une trentaine d'années les assauts du temps, le portrait lui deviendra irrémédiablement une croûte infâme.
Nous somme en plein fantastique...

Or que serait devenu ce roman sans son personnage principal ? Certes, l'intrigue en aurait pâtit, mais il resterait une formidable analyse sociale de la bourgeoisie londonienne, et une critique des mœurs du siècle dernier où l'homosexualité ne se vivait pas à ciel ouvert. Le cynisme et la jalousie sont larvés, presque cachés par les codes de la bienséance. Au royaume des hypocrites, Les gens sincères et purs ne tiennent pas longtemps.

A force de lire des romans contemporains j'avais réussi à oublier (enfin presque) que le style classique me manquait. A mon âge, on ne porte plus le même regard sur ce genre de lecture, par contre on reste subjugué par tant de style et de génie, car Le Portrait de Dorian Gray raconte finalement que l'harmonie du corps et de l'âme est une chimère.

Quelques citations :

"Où que vous alliez actuellement, vous charmez. En sera-t-il toujours ainsi ? Vous avez une figure adorablement belle Mr Gray... Ne vous fâchez point, vous l'avez... Et la beauté même est une des formes du Génie, la plus haute même, car elle n'a pas besoin d'être expliquée ; c'est un des faits absolus du monde".

"On en pouvait faire un absolu type de beauté. Il incarnait la grâce, et la blanche pureté de l'adolescence, et toute la splendeur que nous ont conservée les marbres grecs".

"On aime beaucoup se débarrasser de ce dont on a le plus besoin. C'est ce que j'appelle l'abîme de générosité" .

"Ne vous mariez jamais, Dorian. Les hommes se marient par fatigue, les femmes par curiosité : tous sont désappointés".

Lire l'article de Christine Bini sur Guerre et Paix de Tolstoï