A presque soixante-huit ans, Céline pourrait rester dans son loft new-yorkais à observer au loin les lumières changeantes du côté de Brooklyn tout en profitant de Pete son taiseux de mari et de l'argent de sa famille très aisée. Mais non...
Céline a besoin que ça bouge, déteste les injustices et les deuils de ses sœurs lui ont rappelé que la vie n'attend pas. Certes son emphysème pulmonaire lui joue des tours, mais autant mourir au milieu de grands espaces que dans son canapé. La venue de Gabriela tombe à pic. Cette dernière lui demande de retrouver son père disparu depuis plus de vingt ans et prétendu mort à la suite d'une attaque d'ours.
Gabriela est la cliente idéale pour Céline. Depuis qu'elle est détective privée, elle ne sert que les laissés pour compte. Gabriela lui raconte sa jeunesse édifiante remplie de solitude et de l'amour d'un père qui devait se cacher pour prendre soin de sa fille. La jeune femme a besoin de réponses et Céline lui promet de les apporter.
"Elle possédait également ce que Mimi [sa sœur] appelait une passion pour les Perdants. Céline prenait toujours le parti des faibles, des dépossédés, des enfants, de ceux qui n'avaient aucune ressource ni aucun pouvoir : les vagabonds et les sans-abris, les malchanceux et les toxicos, les abandonnés, ceux rongés par le remords, les brisés".
C'est donc en camping-car que Pete et Celine se rendent dans le grand ouest américain, plus précisément dans le Wyoming sur les traces du papa photographe d'exception. On pourrait croire qu'un polar commence, rempli de fausses pistes et de personnages inquiétants, eh bien non !
Bien que retrouver le père soit essentiel, le road movie des septuagénaires devient le véritable leitmotiv de l'intrigue. Ils font des rencontres inattendues, sont acteurs de scènes parfois très drôles, et Céline se souvient de sa jeunesse avec une émotion certaine malgré les blessures.
Et le lecteur se laisse transporter par cette narration qui prend son temps, profondément humaniste, au milieu d'une nature grandiose et immuable. Parfois, on en oublierait même la quête initiale, heureusement comme Céline est une femme de terrain, l'intrigue reprend vite de la force.
"Elle s'y était résolue depuis longtemps : son travail était de permettre de telles retrouvailles. Même si elle ne pouvait rien changer à l'enfance d'une personne (...) Cette détermination était essentielle".On se laisse prendre au jeu avec plaisir. Encore une fois, Peter Heller a su utiliser les bonnes ficelles pour écrire un roman efficace, bien mené, aux personnages attachants. Car Céline incarne celle qu'on aimerait tant rencontrer une fois dans notre vie. Elle a su à la fois adosser manteau de la grande bourgeoisie familiale tout en sachant l'oublier quand il faut :
"Rien ne la rendait plus heureuse que de s'en débarrasser en l'accrochant à une patère à côté de son béret".Même si l'auteur l'a affligé d'un emphysème pulmonaire de plus en plus handicapant, on se plaît à croire que la fiction rendra cette nouvelle héroïne immortelle.
Ed. Actes Sud, février 2019, traduit de l'anglais (USA) par Céline Leroy, 334 pages, 22.80€
Titre éponyme.