"Nicole Brown Simpson, l'ex-épouse du grand footballeur Orenthal James Simpson, que tous ses fans connaissaient comme O.J . Simpson, avait été retrouvée assassinée devant son immeuble de Bundy Drive à Brentwood, en Californie, ainsi qu'un jeune homme nommé Ronald Goldman, qui était venu lui rapporter une paire de lunettes que la mère de Nicole avait oubliée au restaurant où il travaillait, et où la famille Brown avait dîné la veille au soir".
L'affaire O.J Simpson est passionnante, car au-delà du crime, elle met en évidence toutes les contradictions et les faiblesses de la société américaine. Simpson est noir, son ex-épouse blanche et le fait divers a eu lieu peu après l'affaire Rodney King dans laquelle la police de Los Angeles n'en est pas sortie grandie. Alors, malgré les preuves accablantes, les traces de sang, l'alibi plus que douteux, Simpson a bénéficié de la défense de pas moins de onze avocats qui ont utilisé toutes les ficelles du droit américain pour acquitter leur client.
Dominik Dunne raconte cette affaire sous le prisme des célébrités hollywoodiennes. A travers son double romanesque Gus Bailey (rien à voir avec le basketteur professionnel américain) chroniqueur faits divers à Vanity Fair, il dévoile comment l'affaire a marqué les esprits de la Jet Set. Sujet principal de toutes les conversations, de tous les dîners, chacun y ajoute son anecdote, son souvenir, son point de vue sur O.J. Simpson. Bailey devient l'invité en vue du tout Hollywood car non seulement il suit les débats au procès grâce à une place qui lui est attitrée, mais en plus, connaissant tout le monde ou presque, il peut informer des derniers ragots qui circulent sur l'affaire.
"Que ce soit dans ses articles ou dans ses livres, il se montrait aussi impitoyable envers ceux qui y parvenaient qu'envers les avocats qui échafaudaient les défenses mensongères qui permettaient souvent à leurs clients d'échapper à la justice".Or pour Bailey, cette histoire a une autre symbolique que le crime dans lequel une ex-star du football américain est impliquée. Il a perdu sa fille il y a quelques années dans des circonstances analogues ou presque, et il a été choqué par les manœuvres des avocats de l'assassin de sa fille.
"Pour des raisons qu'il n'avait pas encore découvertes, la fascination que Gus éprouvait pour l'affaire dépassait de loin le simple intérêt qu'un journaliste ou un romancier pouvait ressentir devant une bonne intrigue en train de s'élaborer".Bailey n'oublie pas non plus que le tout Hollywood lui mange dans la main alors qu'il y a quelques années, elle lui a tourné le dos quand, fauché en tant que producteur de films, il était ruiné et sombrait dans l'alcoolisme. Tout ce microcosme l'ennuie et le fascine à la fois par ses codes, ses règles et la célébrité qui semblent être pour eux une protection naturelle.
Une Autre ville que la mienne débute chaque chapitre par un extrait de la chronique de Bailey dans le Vanity Fair. Ainsi le lecteur est à la fois informé de ce qui se joue à l'intérieur et à l'extérieur du tribunal. C'est la société américaine et ses valeurs qui sont remises en question : le racisme ordinaire, la loi de l'argent qui fait croire à l'impunité totale, la jalousie et la violence domestique.
"Cela dépasse le simple procès pour meurtre. Je crois que les gens commencent à s'en rendre compte. Cela nous en raconte beaucoup sur nous-mêmes en tant que nation. Il n'y a jamais eu un procès criminel dans ce pays qui ait monopolisé l'attention du peule tout entier pendant aussi longtemps".Les Américains ont été subjugués par cette affaire ; plus de 95 millions d'entre eux ont suivi en direct à la télévision la fuite d'O.J Simpson sur l'autoroute, certains même brandissant des panneaux pour acclamer leur soutien au présumé coupable...
Bailey-Dunne fait le parallèle entre l'affaire Simpson et celle de l'affaire Dreyfus en France. Comme Swann, le héros de Proust qui dînait chez les Guermantes et les Verdurin où on ne parlait que de Dreyfus, Bailey se rend chez les stars les plus en vus pour n'entendre que ce qu'il sait déjà.
"La célébrité est la base de toute cette histoire. Je parle de la vraie, celle des stars. Elle captive tout le monde".C'est pourquoi ce livre est très intéressant d'un point de vue sociétal et en raconte long sur les travers de notre temps, au point que même le journaliste s'est très vite vu en écrivain de ce roman.
Ed. Séguier, collection L'indéFINIE, avril 2018, traduit de l'anglais (USA) par Alexis Vincent, 408 pages, 22€
Titre original : Another City, not my own