vendredi 4 mai 2018

Goodbye Loretta, Shawn Vestal


"Dans sa tête, Loretta s'envole vers son avenir profane. Dans ce monde-là elle porte des pantalons pattes d'éléphant, des chemisiers colorés à manches courtes - et même des T-shirts -, ses cheveux sont longs et détachés et ses yeux ourlés de mascara. Comme les traînées".

Parce qu'elle faisait le mur pour rejoindre son petit ami Bradshaw, Loretta a été "donnée" comme nouvelle soeur-épouse à  Dean, un mormon fondamentaliste et polgame de Short Creek.
Loretta a grandi au sein d'une famille mormone. Ses rêves de fuite ont commencé avec l'adolescence. Les prières sont devenues des fardeaux, et les silences de sa mère presque des appels au meurtre. A quinze ans on rêve de garçons, de fêtes, de mode mais surtout de liberté. Nous sommes en 1975, et le mouvement hippie s'est répandu.

Loretta rejoint donc la famille de Dean, déjà marié à Ruth et père de sept enfants. Dean est un négociant en gros de céréales. Il s'est éloigné de sa famille -elle aussi mormone- car elle ne pratiquait pas la polygamie. Dean est bien plus âgé que Loretta. Il voit en elle une future mère mais aussi un moyen de prouver à son dieu qu'il est capable de remettre les âmes perdues dans le droit chemin. Ce "mariage-céleste" est un désastre pour la jeune fille. Elle va subir sa nouvelle vie tout en apprenant à s'éloigner mentalement des événements.
"Elle se rappelle le jour où elle a emménagé chez lui. Le cœur alourdi par un sentiment de désastre. Elle se rappelle la visite de Dean le soir de leur mariage. Sa main sur son genou. Qui la maintenait en place".

Jason, le neveu de Dean a bien remarqué cette drôle de jeune fille, réservée et absente en apparence en présence des autres.
"Loretta se sent éclairée de l'intérieur. Un néon. Un phare dans l'obscurité. Comme si personne ne pouvait s'empêcher de la regarder, comme si elle était faite de fins tubes de verre fragiles. Depuis qu'elle a mis les pieds dans ce temple, pas une seconde ne passe, y compris quand elle est dans son lit à la maison, sans qu'elle ne se sente observée, jugée, exposée".
A dix-neuf ans, lui aussi a fait le tour de la vie de famille mormone et rêve d'indépendance et de liberté.
"Il avait pris la dimension de cette vie, de ces paroissiens, et avait décidé qu'il en avait assez. Il voulait être différent, il voulait que les autres sachent qu'il était différent et lorsqu'il avait fini par le reconnaître il était déjà différent".
Son modèle est le cascadeur Evel Knievel dont les prises de risque sont à la hauteur de sa grande mégalomanie. A force de côtoyer Loretta au séminaire mormon, il rêve de fuir avec elle, bras dessus, bras dessous.

Parce qu'elle veut embrasser l'autre monde, celui bien réel de la vraie vie que les mormons refusent, Loretta est prête à fuir avec Jason. Rien ne la retient car elle n'a pas d'avenir dans la famille de Dean et ses parents l'ont abandonnée.
"Le Dieu de Dean est un leurre, elle en est de plus en plus convaincue. Le Dieu de Dean n'est que l'esprit de Dean. Mais derrière ce monde se cache un autre monde bien réel. Quelque chose tire les ficelles en coulisses - guide, façonne, dirige. Elle n'imagine pas autre chose. Et Bradshaw vient de ce monde".
S'ensuit alors un road tripsalvateur pour les deux jeunes gens qui leur permettra de choisir leur destinée.

Shawn Vestal signe un premier roman fort et intelligent, très bien documenté sur la société mormone. Depuis Le Polygame Solitaire de Brady Udall (Albin Michel, 2011), je n'ai pas souvenir d'un roman inscrit dans la communauté mormone polygame.
Loretta est une fille de son époque vivant dans un cercle familial qu'elle n'a pas choisi. On a choisi pour elle son destin. Par la force de son désir, de son courage, et de sa foi en une autre vie possible, elle va se forger un nouvel avenir.
Le chapitrage court et choral permet de mêler les points de vue. En mêlant l'humour à un sujet sensible, Goodbye Loretta est une merveilleuse surprise littéraire qu'on lit avec délectation.

Ed. Albin Michel, collection Terres d'Amérique, avril 2018, traduit de l'anglais (USA) par Olivier Colette, 352 pages, 23€