lundi 29 janvier 2018

Encore heureux, Yves Pagès

Journalistes, psychiatres, entourage, tout le monde s'accorde à dire que Bruno Lescot sort du lot... à sa façon. Depuis la maternelle, il a passé sa vie à défier l'ordre établi tout seul ou en charmante compagnie pour devenir, à presque cinquante ans, un nom dans le Fichier des personnes recherchées et une condamnation à perpétuité par contumace. Mais qui est vraiment Bruno Lescot ?

Yves Pagès ne donne jamais la parole à son personnage principal, et c'est par le biais de personnages qui l'ont croisé ou côtoyé que le lecteur, au fil des pages, parvient à se faire une opinion précise de la nature du bonhomme. 
Dès la maternelle, sa nature rebelle rendait fous les enseignants et les parents. Heureusement, sa grand-mère maternelle, directrice d'école le prend sous son aile pour apaiser les rangs des personnes contre lui. Car sa mère est vite dépassée par les événements. Elle élève plus ou moins seule ses deux garçons car le père, Roger, est en voyage professionnel au Sahara, plus intéressé par les mœurs des tribus locales que par l'éducation de Bruno. Cette absence constitue une faille béante et Bruno va grandir dans la haine du père et le mal amour d'une mère.


"Un bref aperçu du contexte familial s'impose. Issu d'un milieu socioculturel privilégié, le sujet n'a jamais manqué de rien du point de vue matériel ou intellectuel, mais le divorce de ses parents alors qu'il avait dix ans semble avoir créé une bipartition affective dans ses attaches familiales. D'où il résulte un schéma œdipien somme toute classique, accentuant une affection coupable envers la maman et une détestation vindicative à l'encontre du père".

Pus tard, les expertises psychiatriques effectuées confirmeront cette tendance :

"Malgré de nombreuses scories idéologiques, le sujet laisse apparaître le dépit éprouvé envers un père sinon absent, du moins indifférent aux signes ostentatoires de la dérive existentielle".

Comment exister quand on est en opposition contre tout ? Pour le jeune homme l'idée est simple, mettre le bazar partout où il passe, faire parler de lui à coup de slogans remplis de fautes. Bruno est contre le système, et quand des journaux se permettent de le remettre en cause, attention aux représailles !
" Depuis que l'affaire s'est ébruitée dans les milieux autonomes, notre rédaction a en effet été la cible de plusieurs lettres de menaces anonymes, de deux alertes à la bombe heureusement fantaisistes et d'une dégradation nocturne de notre façade avec plusieurs litres de mercurochrome, attaque revendiquée au téléphone par un mystérieux Collectif Marée Rouge".
Un braquage raté, un policier qui succombe à la suite de ses blessures, et voilà Bruno Lescot qui devient l'ennemi public numéro 1. A force de franchir les limites, de tourner le dos à la loi, c'est la case prison. Mais rien n'arrête le sieur Bruno qui n'a qu'une seule loi : la liberté !

Extraits d'articles de journaux, témoignages de psychiatres, de la famille ou des "amis"  dressent le portrait en kaléidoscope de Bruno Lescot tout en tentant de comprendre les causes de cette nature rebelle et incapable de se ranger.
 "Ce garçon-là se croit coupable de naissance", ce qui pourrait expliquer la délinquance assumée de Bruno.
Yves Pagès y ajoute des touches ironiques rendant Bruno Lescot sympathique malgré le portrait qui se dessine à travers les témoignages.
Encore Heureux est aussi une fiction sur la politique, parfois drôle parfois désespérée, construite comme un roman policier avec un véritable suspens jusqu'à la dernière page.

Ed. de L'Olivier, janvier 2018, 320 pages, 19€