A travers la recherche de Vincent Lacépède disparu il y a vingt ans, le lecteur entre dans un roman foisonnant aux multiples récits dont le fil conducteur est un mystérieux médaillon napoléonien.
Vincent avait tout pour être heureux : une femme, deux enfants, deux maîtresses excitantes et une carrière de prof d'histoire. Seulement, peu à peu, il s'est senti comme submergé, au point d'en être cloué sur place..
Je ressentais à la fois un vide et une lourdeur oppressante au niveau du plexus, ce qui provoquait une tension paralysante que je n'avais jamais éprouvée auparavant. C'était une étrange sensation : comme si un trou béant, d'une profondeur insondable, s'était creusé en moi, et que dans le même temps ce trou se trouvait chargé d'un poids considérable. C'était un vide plein en somme. Un gouffre d'une densité effrayante.Les rêves récurrents de renards n'ont pas arrangé les choses et les conseils du garagiste chaman consulté sur le conseil de sa maîtresse slave lui ont semblé bien obscurs. N'empêche que vingt ans après, tous ces petits signes avant coureurs annonçaient sa disparition ; depuis personne ne sait où il se trouve. Certes sa sœur installée au Chili a su qu'il avait traversé l'océan pour venir en Amérique du Sud mais c'est surtout son neveu, Rosario, qui ayant reçu un mystérieux manuscrit signé Vincent, décide de le retrouver.
Pour Rosario, aidé de son ami Paul, c'est surtout au-delà de l'enquête familiale, une quête identitaire. Car Vincent est lui se sont toujours bien entendu et l'homme était un modèle pour le petit garçon qu'il était. La lecture du manuscrit va être passionnante à plus d'un titre car elle emmène le lecteur dans un voyage spatio-temporel sur deux continents : la campagne de Russie napoléonienne à travers le témoignage d'un grognard de l'empire que Vincent avait conservé, et la découverte de la magnifique Terre de Feu et de son chapelet d'îles où il semblerait que Vincent ait décidé de s'exiler.
Sur l'unique route qui mène aux portes de l'Antarctique, Rosario et Paul vont y croiser des personnages surprenants : le propriétaire de la Lune, de Mars et de Vénus, deux scientifiques spécialistes d'animaux que personnes ne peut voir, une rockeuse perdue au fin fond de la Patagonie, sans pour autant penser à abandonner leurs recherches.
Remarque bien, me dit Paul, que ce n'est pas beaucoup plus invraisemblable que ces bestioles qui survivent aux radiations, à la dessiccation, aux températures les plus extrêmes, et qui plongent en état de non vie pendant des années avant de ressusciter. Ou les autres, là, celles qui se reproduisent sans mâles.
Nous trinquons.
Tu as peut-être raison, dis-je. Dans le domaine de la science comme dans celui de l'horreur, la réalité est toujours plus inventive que la fiction, c'est bien connu.Et pourtant, jamais le lecteur ne perd le fil tant les récits s'imbriquent parfaitement et par un curieux effet entonnoir, se rassemblent vers le destin de Vincent et la réponse à la question : qu'est-il devenu ?
Alors, soudainement, la Patagonie chilienne devient beaucoup plus peuplée qu'elle n'y paraît, rassemblant à elle seule une concentration de portraits originaux. Vincent s'est isolé au bout du monde pour enfin comprendre ce qu'il était réellement.
J'eus comme un vertige. Le monde était trop vaste. Trop complexe, trop ramifié, à la fois horizontal et vertical, dessinant entre les êtres et les choses un réseau arachnéen de correspondances, de causalités secrètes, de mystères qui n'en étaient peut-être pas, à l'élucidation desquels manquerait toujours la connaissance démiurgique de la totalité des faits, dans leur succession, leur conjonction, leur simultanéité.Formidable voyage intérieur et quête identitaire, Selon Vincent est un roman riche, très bien construit, et dépaysant. La prose de Christian Garcin embarque le lecteur dans un voyage aux confins de la civilisation là où les paysages sont à la hauteur des personnages croisés : flamboyants.
Le monde n'est pas peuplé de gens mais d'histoires.
Ed. Actes Sud, Collection Babel, août 2017, 326 pages, 8.80€